Blessé au visage, un orang-outan de Sumatra s'est soigné avec un pansement fabriqué à partir d'une plante médicinale.

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Selon l'étude, il s'agit du premier « cas documenté de traitement d'une blessure avec une espèce de plante contenant des substances biologiques actives par un animal sauvage » © Armas / Suaq Project

C'est la première observation d'un tel comportement chez un grand singe à l'état sauvage, rapportée dans une étude publiée jeudi 2 mai dans la revue Scientific Reports. 

Rakus, âgé d'une trentaine d'années, a été observé en juin dernier avec une vilaine blessure au visage, exposant sa chair sous l’œil droit le long de ses narines. Une blessure reçue « probablement lors d'un combat avec un mâle du voisinage », selon Isabelle Laumer, primatologue à l'Institut allemand Max Planck et première autrice de l'étude.

L'animal est suivi avec quelque 130 congénères, tous à l'état sauvage, dans une zone du parc national indonésien de Gunung Leuser.

Trois jours après sa blessure, Rakus a commencé à mâcher des feuilles d'une liane, appelée localement Akar Kuning (Fibraurea tinctoria). Mais au lieu de l'ingérer, il a porté ses doigts enduits du jus de la plante sur sa plaie à vif. Avant de la recouvrir entièrement de pulpe de liane. Cinq jours plus tard la plaie était refermée. Deux semaines après, elle laissait une cicatrice à peine visible. 

Premier cas de traitement d'une blessure par une plante

Le « remède » utilisé n'a rien de miraculeux, il fait partie de la pharmacopée traditionnelle dans la région, de la Chine à l'Asie du Sud-Est. Cette liane et d'autres similaires sont utilisées comme remèdes traditionnels pour différentes affections, comme la malaria, grâce à leurs propriétés anti-bactériennes et anti-inflammatoires.

Selon l'étude, il s'agit du premier « cas documenté de traitement d'une blessure avec une espèce de plante contenant des substances biologiques actives par un animal sauvage ». S'il était confirmé par d’autres observations, il compléterait une liste croissante de comportements d'auto-médication par des animaux, notamment chez des primates. 

Dans les années 1960, la célèbre primatologue Jane Goodall observa pour la première fois que des chimpanzés absorbaient des feuilles dont le rôle anti-parasitaire fut révélé plus tard. Un comportement observé depuis chez des bonobos et des gorilles, avec une sélection par l'animal des plantes ingérées, dont la connaissance serait transmise par des femelles.

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À gauche : des feuilles de Fibraurea tinctoria. À droite : l'orang-outan Rakus se nourrissant de Fibraurea tinctoria © Saidi Agam / Suaq Project

Plus récemment, des chercheurs ont observé des orangs-outans de Bornéo mâchant les feuilles d'une plante médicinale avant de s'en frotter les membres uniquement. Coïncidence? Dracenea cantleyi est typiquement utilisée par les populations indigènes pour traiter muscles endoloris et douleurs articulaires...   

Comportement intentionnel ou accident ?

L'étude estime que le comportement de Rakus, comme celui de ses congénères de Bornéo, était bien intentionnel. Avec un traitement répété et méticuleux d'un endroit bien précis « qui a pris un temps considérable », selon Isabelle Laumer. Mais Caroline Schuppli,  co-autrice de l'étude, n'exclut pas une « innovation individuelle », d'origine accidentelle. Rakus aurait pu sans le vouloir appliquer le jus de la plante sur sa plaie, juste après avoir porté ses doigts dans la bouche. Comme la plante a un effet analgésique, les singes « peuvent éprouver un soulagement immédiat, les poussant à répéter l'opération plusieurs fois », selon elle.

Ce comportement n'ayant pas été observé localement jusqu'ici, la chercheuse n'exclut pas qu'il soit présent dans la zone d'origine de Rakus, les jeunes orangs-outans mâles quittant leur région natale après la puberté.

Le fait que, comme les humains, des primates puissent traiter activement une blessure de cette façon laisse imaginer que « notre dernier ancêtre commun utilisait déjà des formes semblables de traitement à l'aide de pommades », selon la Dr Schuppli.