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Un cichlidé zébré essaie d’ouvrir une boîte dans le cadre d’une expérience menée par un laboratoire du CNRS à l’université de Bourgogne, à Dijon © AFP/Archives Handout

Il ne mesure que quelques centimètres, mais il a parfois le cœur gros : un poisson tropical éprouve un « chagrin d’amour » lorsque qu’il est séparé de sa moitié, assurent des chercheurs en s’appuyant sur un test de comportement permettant de mesurer le pessimisme de l’animal. Le cichlidé zébré, dont le nom scientifique est Amatitlania siquia, est un petit poisson monogame qui forme des couples stables dans le temps. Les deux partenaires construisent ensemble le nid et s’occupent de façon coordonnée des œufs et de l’élevage des alevins. « Pour accéder à l’état émotionnel de ces poissons de manière objective sans projeter d’anthropomorphisme dans l’analyse, nous avons recouru au test du biais du jugement », utilisé aussi sur l’Homme, déclare à l’AFP François-Xavier Dechaume-Moncharmont, enseignant en comportement animal à l’université de Bourgogne, à Dijon. Grâce à ce test, utilisé pour la première fois sur un poisson, les chercheurs sont parvenus à montrer que lorsqu’une femelle était séparée de son partenaire, elle devenait « pessimiste ». Il s’agit de « la première démonstration d’un attachement émotionnel à son partenaire chez une espèce autre que l’espèce humaine », selon M. Dechaume-Moncharmont, co-auteur de l’étude, publiée le 12 juin dans Proceedings of Royal Society B.

L’attachement émotionnel chez les oiseaux, qui sont souvent monogames contrairement aux poissons, n’a pas encore été exploré, précise ce chercheur du CNRS qui travaille depuis une dizaine d’années sur le cichlidé zébré. Pour mener leur expérience, les biologistes ont d’abord appris aux poissons à ouvrir des petites boîtes en soulevant le couvercle avec leur bouche. Puis ils ont enseigné au cichlidé zébré à distinguer les boîtes recelant un appétissant ver de vase d’autres boîtes qui, elles, étaient vides, et cela grâce à la couleur du couvercle (noir ou blanc selon les cas). Les boîtes étaient posées soit à gauche soit à droite dans l’aquarium. Alors que les poissons se précipitaient sur la boîte cachant un ver, ils mettaient plusieurs minutes à ouvrir celle qui n’avait rien.

« Boîte ambiguë »

Le test du biais du jugement a commencé lorsqu’on leur a proposé une « boîte ambiguë » avec un couvercle gris, intermédiaire entre le blanc et le noir, placée au milieu de l’aquarium. « Les poissons optimistes vont penser qu’elle contient de la nourriture et ils vont ôter assez vite le couvercle. Alors que les pessimistes vont croire qu’il n’y a rien à manger et ils vont y aller lentement », indique le chercheur. Pour tester l’attachement émotionnel de ces animaux, les scientifiques ont ensuite séparé les couples. « Nous avons montré que cela augmentait le pessimisme de la femelle », et cela très rapidement. La femelle mettait nettement plus de temps à s’intéresser à la boîte au couvercle gris que lorsque son mâle était dans l’aquarium. Au bout de 48 heures, le mâle était remis dans l’aquarium où nageait sa femelle, dans un souci de bien-être animal. Par la suite, l’équipe a mené le même type d’expérience sur les mâles. Les premiers résultats sont similaires.

L’équipe de chercheurs aimerait bien savoir combien de temps dure un « chagrin d’amour » chez ces petits poissons d’eau douce qui vivent notamment en Amérique centrale. Mais il faudrait les séparer longtemps, « ce qui pose des problèmes éthiques », note l’enseignant. Au vu des résultats, « on peut imaginer que l’attachement émotionnel au partenaire est quelque chose d’utile au couple et qu’il présente un intérêt évolutif », estime-t-il. Si il se révèle être un grand amoureux, le cichlidé zébré est aussi un petit poisson bagarreur, aux dents acérées. Soucieux de son territoire, il n’apprécie pas la présence d’autres espèces lorsque son aquarium est petit.