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Une raffinerie Total à Gonfreville-l'Orcher, près du Havre, le 14 décembre 2019 © AFP/Archives JEAN-FRANCOIS MONIER

Total avait connaissance des conséquences néfastes de ses activités pour le climat dès 1971, mais a entretenu le doute à la fin des années 1980 et cherché ensuite à contrecarrer les efforts pour limiter le recours à ces énergies fossiles, selon un article scientifique paru mercredi.

Cette recherche a été menée par Christophe Bonneuil, directeur de recherche au CNRS, Pierre-Louis Choquet, sociologue à Sciences Po, et Benjamin Franta, chercheur en histoire à l’université américaine de Stanford, et publiée dans la revue Global Environmental Change.

Dès 1971, une publication dans la revue de Total expliquait que la combustion d’énergies fossiles conduit « à la libération de quantités énormes de gaz carbonique » et à une augmentation de la quantité de gaz carboniques dans l’atmosphère, une « augmentation (…) assez préoccupante ». Pour autant, le groupe a passé ce sujet sous silence, relèvent les chercheurs. 

Au milieu des années 1980, le géant américain Exxon, via l’Association environnementale de l’industrie pétrolière (IPIECA), prend la tête d’une campagne internationale des groupes pétroliers pour « contester la science climatique et affaiblir les contrôles sur les énergies fossiles », poursuivent les chercheurs.

« La nouveauté est qu’on pensait que seuls Exxon et les groupes américains étaient dans la duplicité. On s’aperçoit que nos champions pétroliers français ont participé à ce phénomène au moins entre 1987 et 1994 », explique Christophe Bonneuil, parlant d’une « fabrique de l’ignorance ».

L’IPIECA a « torpillé par du lobbying actif les projets d’écotaxe de la Commission européenne entre 1990 et 1994 » et d’autres projets de régulation des énergies fossiles, a déclaré Christophe Bonneuil mercredi lors d’une conférence de presse en ligne. « On trouve des notes internes qui se félicitent de ce travail de lobbying » dans les archives étudiées.

Parallèlement, Total et Elf ont cherché à se doter d’une crédibilité environnementale à travers des engagements volontaires, avance l’étude.

À la fin des années 1990, l’approche a changé. Les experts climat de l’ONU, le Giec, publient leur premier rapport. Le sommet de la Terre à Rio en 1992 débouche sur l’adoption de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Le protocole de Kyoto est adopté en 1997.

« L’industrie pétrolière française cesse de remettre en cause publiquement les sciences climatiques, mais continue à augmenter ses investissements dans la production pétrolière et gazière », à insister sur « l’incertitude, minimisant l’urgence (climatique) et à détourner l’attention des énergies fossiles comme cause première du réchauffement » climatique mondial, poursuivent les chercheurs.

Vers le milieu des années 2000, nouvelle stratégie. Son PDG de l’époque, Thierry Desmaret, reconnaît la réalité du changement climatique et les conclusions du Giec. 

Christophe Bonneuil qualifie cette phase de « l’âge du greenwashing » où « ce qui est en jeu est la capacité de Total à se mettre en scène du côté des solutions et pas du côté du problème ».

Dans une réponse transmise à l’AFP avant la publication de l’article scientifique, le groupe déclare : « Les dirigeants de Total (…) reconnaissaient l’existence du changement climatique et le lien avec les activités de l’industrie pétrolière » et depuis 2015, la société a pour objectif « d’être un acteur majeur de la transition énergétique », poursuit-il.

« Il est impératif que le Parlement se saisisse de ces révélations en lançant une commission d’enquête », demandent les ONG Notre affaire à tous et 350.org dans un communiqué commun, critiquant aussi le fait que « TotalEnergies compte toujours augmenter ses capacités de production et développe de nouveaux projets dévastateurs dans des régions protégées ».

Ce que montrent ces recherches « est extrêmement grave », a insisté Marie Toussaint de Notre affaire à tous, lors de la conférence de presse. « On parle d’une entreprise très liée à l’État français », qui a été actionnaire du groupe pétrolier par le passé, ainsi que d’Elf, rappelle-t-elle.

Une étude de 2017 a montré que le groupe pétrolier américain ExxonMobil savait depuis les années 80 que le changement climatique était réel et causé par des activités humaines. Mais le groupe s’est évertué pendant des années à entretenir le doute sur cette réalité, trompant ainsi ses actionnaires et les citoyens.