Des éléphants sauvages dont l’équipée tient la Chine en haleine mettent en lumière les difficultés d’adaptation d’espèces protégées dans un pays où les espaces naturels se réduisent.

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Photo diffusée le 24 juin 2021 par les autorités du Yunnan d'un groupe d'éléphants ayant parcouru quelque 500 km depuis sa réserve, près de la ville de Yuxi, dans le sud-ouest de la Chine © Yunnan Provincial Command of the Safety Precautions of the Migrating Asian Elephants/AFP/Archives

En Chine, les éléphants sauvages sont protégés et vivent exclusivement dans la région touristique et tropicale de Xishuangbanna, frontalière du Laos et de la Birmanie. L’an dernier, 15 pachydermes, dont trois éléphanteaux, ont quitté cette réserve, cap au nord.

Si les migrations d’éléphants ne sont pas inhabituelles, la durée et la distance parcourue ont cette fois surpris les spécialistes : le troupeau se trouve à quelque 500 km de son point de départ. Les éléphants ont « senti que leur environnement traditionnel n’était plus adapté » et c’est la raison pour laquelle ils sont « partis trouver un autre endroit », indique le zoologiste Ahimsa Campos-Arceiz, du Jardin botanique tropical de Xishuangbanna.

Les animaux se sont aventurés en ville, ont traversé des autoroutes et visité granges et maisons à la recherche de nourriture. Ils semblent en bonne santé. Mais dans les localités traversées, les dégâts matériels sont nombreux et se chiffrent déjà à près d’un million d’euros.

Suivis à la trace

Leur marche est surveillée en permanence par des drones et des centaines de fonctionnaires sont mobilisés pour évacuer les populations. Les autorités redoutent qu’en cas de stress les mammifères se déchaînent. « Bien qu’ils errent dans des zones peu familières et densément peuplées […] les éléphants ont l’air heureux », estime M. Campos-Arceiz.

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Photo prise le 14 juin 2021 et publiée le 21 juin 2021 par les autorités du Yunnan d’un groupe éléphants se reposant durant leur périple de quelque 500 km, près de Yuxi, dans le sud-ouest de la Chine © Yunnan Provincial Command of the Safety Precautions of the Migrating Asian Elephants/AFP/Archives

L’histoire passionne en Chine, où la télévision publique CCTV retransmet en direct et en continu sur internet la pérégrination des éléphants. Des images ont montré le troupeau en plein sommeil, allongé dans une forêt sur la commune de Kunming, une grande métropole du sud-ouest de la Chine. Et début juin, l’un des pachydermes, un mâle, s’est séparé du reste du groupe avec lequel il reste toutefois en contact. Pour communiquer malgré la dizaine de kilomètres qui les séparent, les éléphants produisent des infrasons inaudibles par l’Homme. Mais en milieu urbain, ces vibrations peuvent facilement être brouillées par le bruit des véhicules.

La Chine est l’un des rares endroits au monde où la population d’éléphants d’Asie, une espèce menacée, augmente, grâce à des lois anti-braconnage strictes et à des efforts de protection. En trois décennies, leur nombre a doublé pour atteindre désormais plus de 300 têtes. Mais dans le même temps, leur espace de vie a été réduit de près des deux tiers à cause de l’Homme, relève Zhang Li, professeur d’écologie à l’université normale de Pékin. Dans le sud-ouest de la Chine, d’où sont originaires les éléphants, leurs forêts ont laissé place à des plantations de thé et de caoutchouc qui ont de fait grignoté les lieux de vie de pachydermes. 

Retourner à l’état sauvage

La construction de centrales hydroélectriques et d’autoroutes a par ailleurs bloqué les voies de migration, compliquant pour les éléphants la recherche de partenaires et leur socialisation. Les scientifiques ne sont cependant pas certains qu’un changement d’environnement soit à l’origine de la migration du troupeau. Et la plus grosse difficulté est aujourd’hui de savoir comment les ramener à la maison.

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Vue aérienne prise le 7 juin et diffusée le 11 juin 2021 par les autorités de la province du Yunnan d’un troupeau d’éléphants en randonnée près de la ville de Kunming, dans le sud-ouest de la Chine © Yunnan Provincial Command of the Safety Precautions of the Migrating Asian Elephants/AFP/Archives

Les appâter avec de la nourriture serait une solution à proscrire, car elle risquerait de domestiquer de manière irréversible le troupeau, prévient le chercheur Wang Hongxin, de l’université normale de Pékin. « C’est comme habituer un enfant à manger du sucre », affirme M. Wang, craignant une modification du régime alimentaire du groupe qui le rendrait plus vulnérable aux maladies. « Leur pérégrination met en lumière les menaces qui pèsent sur les éléphants d’Asie » et les risques d’incidents avec les humains à mesure que l’espace de vie des pachydermes se réduit, estime M. Wang.

Selon les données du bureau de la faune du Yunnan, la province qui abrite l’immense majorité des pachydermes, plus de 70 personnes ont été mortellement blessées par des éléphants en liberté entre 2013 et 2019. « Les humains doivent se retirer (des lieux de vie des éléphants) et laisser leurs terres retourner à l’état sauvage », suggère Wang Hongxin.