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Le Mont-Blanc et l’Aiguille du Midi en février 2022 © AFP/Archives Olivier Chassignole

Crevasses béantes, chutes de pierres grosses « comme des frigos ». En cette année marquée par la sécheresse et la canicule, l’accès au sommet du Mont-Blanc devient particulièrement difficile et périlleux, au grand dam des alpinistes amateurs qui rêvent de fouler le toit des Alpes. Officiellement, aucune des sept voies menant à la cime, à 4,807 mètres, n’est fermée, mais les conditions d’accès en cette fin juillet sont si dégradées que seuls les grimpeurs les plus expérimentés sont encore capables d’y parvenir, selon les spécialistes de la montagne.

En cause, le déficit de neige au cours de l’hiver, qui en altitude laisse en de nombreux endroits apparaître de vastes portions de glaciers nus grisâtres — voire jaunâtres là où se sont accumulées pendant l’hiver des poussières de sable en provenance du Sahara — et hérissés de fractures. La chaleur a fait le reste, provoquant la fonte des fragiles ponts de neige qui permettent de franchir les crevasses et entrainant des éboulements.

À Chamonix, au pied du géant blanc, la saison bat toutefois son plein et les touristes se pressent au sommet de l’Aiguille du Midi (3,842 mètres) où ils arrivent chaque jour par milliers par la magie du téléphérique. Mais là-haut, dans la petite grotte taillée à même la glace qui sert de vestiaire et de point de départ aux alpinistes pour de nombreuses courses en montagne — dont la traversée de la Vallée Blanche ou le Mont-Blanc via la voie des « trois Monts » —, ils sont plutôt peu nombreux à chausser/déchausser les crampons en cette fin juillet. Parmi eux l’Écossais Evan Warden et son fils de 14 ans, David, sont venus faire un tour sur le glacier en contrebas de l’Aiguille. Ils y ont découvert des conditions « affreuses » : « partout où nous marchions, il y avait des chutes de pierres constantes et des crevasses s’ouvraient en permanence », explique le jeune garçon formé à la montagne en Écosse, en première visite dans les Alpes. Tous deux espéraient initialement gravir le Mont-Blanc, mais ont renoncé à ce projet, « trop risqué ». « Peut-être l’année prochaine… Il sera là demain, il sera là le mois prochain et l’année prochaine. Il ne bougera pas », philosophe le père en enroulant lestement sa corde autour de ses épaules.

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Officiellement, aucune des sept voies menant à la cime, à 4.807 mètres, n'est fermée mais les conditions d'accès en cette fin juillet sont si dégradées que seuls les grimpeurs les plus expérimentés sont encore capables d'y parvenir © AFP/Archives Olivier Chassignole

 « On le fera plus tard » 

Monica et Marten Antheun, un couple de quadragénaires norvégiens se faisaient eux aussi une fête de se frotter au mythique géant après « trois ans d’attente » : ils avaient réservé pour « aujourd’hui ou demain » auprès de la Compagnie des Guides de Chamonix, se désole Marten.

« Le guide nous a envoyé un email et la course au Mont-Blanc a été annulée à cause de la météo. Je pense que les guides connaissent la zone et les conditions. C’est ok pour nous, nous pourrons le faire plus tard », tempère son épouse. Les Compagnies des guides de Chamonix et de Saint-Gervais ont annoncé à la mi-juillet la suspension provisoire des ascensions au Mont-Blanc par la voie « normale » du Goûter en raison des chutes de pierres qui dévalent le couloir du Goûter, aussi connu sous le nom de « couloir de la mort ». L’accès reste ouvert aux guides indépendants.

Les températures très élevées ces derniers temps déstabilisent la montagne, relève Noé Vérité, gardien du refuge des Cosmiques, situé sur une autre voie, celle des Trois Monts. Il dit avoir récemment relevé 6 degrés en pleine nuit à son refuge, à 3,613 mètres d’altitude. L’absence de regel cette nuit-là a contraint tous les candidats à l’ascension partis des Cosmiques à faire demi-tour, explique-t-il par téléphone. « On voit les conditions se dégrader de jour en jour », constate-t-il. Pour lui, juillet est habituellement le pic de la saison, mais les annulations s’accumulent. La voie normale subit des chutes de pierres grosses « comme des frigos ». D’autres comme « l’Innominata » sont encore pratiquées, mais restent réservées à une archi-minorité du fait de leur difficulté, souligne-t-il. Actuellement, seule une « douzaine ou une vingtaine de personnes par jour, plutôt des spécialistes », accèdent au sommet du Mont-Blanc, contre 100 à 120 personnes en temps normal, estime Olivier Grébert, président de la Compagnie des guides de Chamonix.

Les courses annulées sont reportées, remboursées ou réorientées sur d’autres itinéraires et la Compagnie en profite au passage pour faire un peu de pédagogie pour ceux qui, par exemple, veulent gravir le sommet « pour leurs 40 ans ». « Cette ascension doit s’inscrire dans une carrière d’alpiniste », explique M. Grébert : « le Mont-Blanc a quelquefois la réputation d’être une ascension facile, mais ce n’est pas le cas, cette année plus particulièrement encore ».