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La surface du lac de Potpec recouverte de déchets, le 8 janvier 2021 à Priboj, en Serbie © AFP Vladimir Zivojinovic

Les eaux émeraude du lac de Potpec serti dans un paysage de montagne en Serbie faisaient figure jadis de paradis rêvé des pêcheurs. Mais depuis quelque temps, le plan d’eau est en bonne partie invisible sous les masses de déchets et l’odeur suffit à elle seule à repousser les visiteurs. 

« C’est très laid », soupire Milomir Mijovic, un riverain de 34 ans alors que les pluies hivernales font émerger le problème structurel de la gestion des ordures à travers les Balkans. Il contemple les 8 000 mètres cubes de bouteilles en plastique, de vieux sofas et autres conteneurs en polystyrène agglutinés en un îlot massif sur ce lac de Serbie occidentale. « J’ai sept enfants et je suis triste de ne pas pouvoir les emmener pêcher, ou venir ici l’été pour se baigner », poursuit-il.

Les Balkans occidentaux comptent les rivières parmi les plus sauvages d’Europe. Mais des infrastructures défaillantes de traitement des détritus menacent l’environnement et la santé publique. Le problème a été mis en exergue par les inondations de janvier qui ont charrié dans les cours d’eau les immondices déversées dans des décharges sauvages. Les ordures se sont accumulées en amont de barrages hydroélectriques comme à Potpec, sur la rivière Lim qui coule du Monténégro ou de la centrale de Visegrad, sur la Drina, près du pont classé au patrimoine mondial décrit par l’écrivain yougoslave et prix Nobel Ivo Andric. Les gestionnaires de ces barrages procèdent régulièrement à leur nettoyage mais cette année, le phénomène est d’ampleur inhabituelle.

Télés et frigos

« On ne peut pas résoudre ce problème, on peut juste le réparer, on ramasse les détritus que les municipalités abandonnent le long des rives des cours d’eau », dit Tomislav Popovic, directeur technique de la centrale bosnienne, où se sont retrouvés, outre les amoncellements de bouteilles en plastique, téléviseurs, frigos, poêles.

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Des amas de déchets au barrage hydroélectrique de Potpec, sur la rivière Lim, le 8 janvier 2021 à Priboj, en Serbie © AFP Vladimir Zivojinovic

« On a même vu des images de bulldozers en train de pousser des ordures directement dans la rivière », explique Tomislav Popovic. La centrale en ramasse chaque année environ 8 000 m3. Le traitement des déchets dans les Balkans souffre d’un problème de ressources, d’infrastructures dépassées et d’absence de prise de conscience. 

Le recyclage est minime dans la plupart des pays. Les décharges sauvages enlaidissent la campagne et les abords des villes. En Macédoine du Nord, des sacs en plastique accrochés aux arbres défigurent les paysages. Des montagnes de débris de construction, de vieux meubles ou de machines à laver sont éparpillés le long des routes. 

La capitale Skopje est également cernée. À cinq kilomètres au nord-ouest, on trouve un cimetière de vieilles baignoires, de matières textiles, d’emballages plastiques et de pièces automobiles. À Vardarishte, à l’est, une décharge officielle fermée il y a 26 ans est aujourd’hui un dépotoir sauvage de 170 000 m2, à quelques encablures d’habitations. Des incendies allumés par des habitants qui brûlent par exemple des câbles pour récupérer du cuivre envoient des fumées toxiques dans le smog ambiant.

Sous le tapis

Dejan Dimirovski, un élu vert local dénonce les « immenses effets négatifs » des décharges illégales de Macédoine du Nord. En 2019, il avait filmé les défaillances dans le traitement par une entreprise de déchets médicaux qui étaient versés ensuite dans la décharge officielle de Skopje, la seule à répondre aux normes de l’Union européenne.

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Une décharge sauvage, le 14 janvier 2021 à Struga, en République de Macédoine du Nord © AFP Robert ATANASOVSKI

Dans une vidéo plus récente, il s’en prend à un homme qui tente de jeter de grands sacs d’ordures de la fenêtre de sa voiture. C’est comme si le pays « s’était construit un appartement sans prévoir de w.c. », se désole-t-il.

Au Kosovo voisin, la situation n’est guère meilleure. La moitié seulement des 1,8 million d’habitants bénéficient de la collecte des ordures. Selon un rapport gouvernemental, les décharges sauvages ont augmenté de 60 % entre 2017 et 2019.

En Serbie, la collecte fonctionne mieux, mais les dépotoirs eux-mêmes posent problème. Les ordures « finissent habituellement dans des dépotoirs sauvages où métaux lourds et autres polluants sont directement libérés dans l’environnement, l’eau et l’air, nous menaçant nous », déclare Igor Jezdimirovic, qui dirige l’ONG Environmental Protection Engineers.

L’une des plus grandes décharges d’Europe où se sont entassés 40 ans durant les déchets de Belgrade, polluant eaux et terres agricoles, est en voie de réhabilitation au terme d’un projet mené par le français Suez et le japonais Itochu.

Mais si l’opinion ne se réveille pas dans des pays où les questions d’environnement sont rarement des sujets, les ordures vont continuer de finir sous le tapis, prévient-il. « Ceux qui sont au pouvoir espèrent juste que les problèmes n’émergeront pas durant leur mandat et sur le long terme, ils jugent que ce n’est pas leur intérêt d’y faire face ».