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Le ministre allemand de l’économie et du climat Robert Habeck, le chancelier allemand Olaf Scholz et le ministre allemand des finances Christian Lindner devant le bateau FSRU (Unité flottante de stockage et de regazéification) « Hoegh Esperanza » amarré à Wilhelmshaven le 17 décembre 2022 © POOL/AFP Michael Sohn

Quand les bateaux remplacent les pipelines : l’Allemagne a inauguré samedi son premier terminal de gaz liquéfié, destiné à éviter les pénuries et à remplacer les livraisons russes, stoppées par la guerre en Ukraine. Mais l’approvisionnement à court terme demeure incertain. « C’est un bon jour pour notre pays », s’est réjouit le chancelier Olaf Scholz, vêtu d’une veste jaune fluo, sur le pont d’un bateau, à quelques mètres du terminal de Wilhelmshaven, au bord de la mer du Nord.

Le navire FSRU (unité flottante de stockage et de regazéification) « Hoegh Esperanza », amarré depuis jeudi à environ 300 mètres de là, a fait sonner sa sirène à l’approche du bateau où avaient pris place le chef de l’Etat, accompagné de plusieurs ministres, édiles locaux et journalistes, dans un temps froid et brumeux. Cet imposant bâtiment naval bleu et rouge long de 300 mètres, encombré de tuyaux, a été chargé avec suffisamment de gaz nigérian pour la consommation annuelle de « 50 000 foyers » et commencera ses livraisons le 22 décembre.

Cinq terminaux flottants ouvriront ces prochains mois, après des chantiers menés au pas de charge grâce aux milliards d’euros débloqués par Berlin. « Nous nous rendons indépendant des pipelines russes », s’est félicité M. Scholz. Ces installations fourniront un tiers des besoins en gaz du pays, éloignant - pour le moment - les scénarios catastrophes de pénuries massives encore évoqués il y a quelques mois.

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Le bateau FSRU (unité flottante de stockage et de regazéification) « Hoegh Esperanza » amarré à Wilhelmshaven le 17 décembre 2022 © POOL/AFP Michael Sohn

Les terminaux GNL (Gaz naturel liquéfié) flottants permettent d’importer du gaz naturel par voie maritime, sous forme liquide. Ils sont composés d’une plateforme d’amarrage et d’un bateau dit FSRU, où le GNL est livré, stocké et regazéifié, avant d’être envoyé dans le réseau. 

À la différence d’autres pays européens, l’Allemagne ne disposait d’aucun terminal sur son sol, préférant la ressource peu chère arrivant des pipelines russes, dont elle dépendait à hauteur de 55 % de ses importations. Tout a changé avec la guerre en Ukraine et la fin des livraisons du russe Gazprom. Les importations de gaz liquéfié vers l’Allemagne, via les ports belges, néerlandais et français, ont bondi. Pour éviter un coût du transport prohibitif, le pays a décidé de lancer sur son propre sol plusieurs chantiers de terminaux.

Mais l’Allemagne n’a toujours pas signé de contrats gaziers significatifs pour remplir ces terminaux dans l’immédiat. « La capacité d’importation sera là. Mais ce qui m’inquiète, ce sont les livraisons », s’alarme auprès de l’AFP Johan Lilliestam, chercheur à l’université de Postdam. Un contrat entre l’entreprise américaine ConocoPhillips et le Qatar a été signé pour le terminal de Wilhelmshaven. Mais la livraison de gaz ne débutera qu’à partir de 2026.

Les négociations entre les énergéticiens allemands – RWE et Uniper en tête – et les principaux fournisseurs mondiaux, comme le Qatar, les États-Unis ou le Canada, patinent. Les producteurs cherchent des contrats longs, pour rentabiliser leurs investissements tandis que Berlin veut du court terme afin de se passer progressivement des énergies fossiles.

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Le navire FSRU (Unité flottante de stockage et de regazéification)  Hoegh Esperanza », le 17 décembre 2022 à Wilhelmshaven, en Allemagne © AFP Axel Heimken

Les organisations écologistes craignent déjà que ces projets GNL ne mettent en danger les objectifs climatiques du gouvernement. Une dizaine de militants écologistes ont manifesté à Wilhelmshaven samedi matin, avec des pancartes demandant la « fin du gaz », a constaté l’AFP.

« Si nous voulons fournir pour du long terme du gaz liquéfié vers l’Allemagne, il faudra conclure des contrats sur de longues périodes », a admis samedi Holger Kreetz, directeur opérationnel de Uniper, qui gère le terminal de Wilhelmshaven, interrogé par l’AFP. Sans contrat significatif, l’Allemagne est en effet exposée à la volatilité des marchés spot de court terme pour se fournir. 

Les prix ont certes baissé depuis l’été. Mais le marché pourrait se tendre dès 2023, en raison de la reprise de la demande en Chine, qui abandonne peu à la peu la politique « zéro Covid ». Et l’hiver actuel en Allemagne, particulièrement froid, pourrait vider les cuves plus rapidement que prévu. « On ne peut pas exclure des coupures pour l’hiver prochain », estime Andreas Schroeder, expert pour l’institut londonien ICIS.

Les autorités allemandes appellent donc la population à poursuivre ses efforts pour économiser la ressource. « Nous sommes loin d’être sortis d’affaires », a martelé samedi le ministre allemand de l’économie Robert Habeck, également à Wilhelmshaven. L’objectif de Berlin est d’économiser 20 % de gaz cet hiver, contre 13 % actuellement.