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centrale nucléaire de Penly, le 9 décembre 2022, à Petit-Caux, en Seine-Maritime © AFP/Archives Lou Benoist

Produire, et plus vite : 2023 s’annonce comme une année charnière pour la relance annoncée du nucléaire en France, où l’on parie plus que jamais cet hiver sur l’atome pour garantir l’approvisionnement en électricité, mis à mal par des réacteurs à l’arrêt. 

Dans l’immédiat, les Français qui bénéficient depuis les années 1960 d’une électricité peu chère et abondante sont confrontés à la hausse des prix de l’énergie dans toute l’Europe, et surtout à un risque inédit de coupures de courant cet hiver. Au cœur du problème : le nombre important de réacteurs arrêtés – jusqu’à plus de la moitié sur 56 – qui a fait chuter en 2022 la production d’EDF au plus bas depuis 30 ans. Dans un pays qui compte principalement sur ses réacteurs pour produire, se chauffer et s’éclairer, « quand le nucléaire est défaillant, cela se voit beaucoup », résume Nicolas Goldberg, expert énergie au cabinet Colombus consulting.

Sous forte pression de l’Etat actionnaire, une course contre la montre s’est engagée pour rebrancher un maximum des réacteurs mis à l’arrêt par la découverte de micro-fissures sur des tuyauteries, et par le retard pris par les grosses maintenances décennales des centrales depuis la Covid. 

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Calendrier des redémarrages et des indisponibilités des réacteurs des centrales nucléaires françaises jusqu’en août 2023 © AFP Valentin Rakovsky

EDF et son actionnaire, l’État, en froid, ont néanmoins affiché leur unité le 9 décembre lors d’une visite très médiatisée du ministre de l’Economie Bruno Le Maire à la centrale de Penly (Seine-Maritime), avec le nouveau PDG d’EDF Luc Rémont.

Alors que plus de 500 soudeurs ont été mobilisés pour réparer les tuyaux, dont certains venant des États-Unis, trois réacteurs supplémentaires avaient été rebranchés dans la nuit précédant la visite, augmentant à 40 le nombre de réacteurs opérationnels. Ce qui a permis au ministre de déclarer publiquement sa confiance en EDF, en passe d’être totalement renationalisé. Selon lui, le nucléaire doit devenir « la pièce maîtresse » de la stratégie énergétique de l’Etat, annoncée en février par Emmanuel Macron à Belfort.

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Le directeur de la centrale nucléaire de Penly François Valmage (c), le ministre de l’Economie Bruno Le Maire (d) et le nouveau PDG d’EDF Luc Rémont lors d’une visite de la centrale, le 9 décembre 2022 à Petit-Caux © AFP/Archives Lou Benoist

Parallèlement à une accélération des énergies solaires et éoliennes, l’État mise en effet sur la construction de 6 à 14 réacteurs dits « EPR de nouvelle génération », et de plus petits réacteurs dits SMR, pour « produire plus d’électricité décarbonée dans les meilleurs délais » et accompagner « la réindustrialisation à marche forcée » du pays, selon le ministre.

Un revirement de l’exécutif qui a commencé fin 2021, la France ayant décidé en 2015 – après l’accident de Fukushima en 2011 au Japon – de fermer 14 de ses 58 réacteurs (deux ont déjà fermé). « 2023 sera une année clé pour la filière, pendant laquelle nous allons franchir plusieurs étapes essentielles à la concrétisation de la relance nucléaire », assure Olivier Bard, délégué général du syndicat professionnel de l’industrie nucléaire GIFEN.

L’année sera marquée par la clôture en février du débat public sur le nouveau programme nucléaire. La synthèse sera versée au Parlement à qui il reviendra de voter au plus tard en 2024 la nouvelle feuille de route énergétique du pays, fixant la part de chaque énergie, renouvelable et nucléaire. Sans attendre, le gouvernement a déjà présenté en novembre un projet de loi pour accélérer au niveau administratif la construction de nouveaux réacteurs. Un examen est prévu début 2023 par l’Assemblée nationale.

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Localisation et âge des réacteurs nucléaires français depuis leur mise en service industrielle, selon les données de l’Agence internationale de l’énergie atomique © AFP/Archives

Ce coup d’accélérateur irrite les associations antinucléaires et de défense de l’environnement comme le réseau « Sortir du nucléaire » qui dénonce « une relance du nucléaire coûte que coûte, quitte à piétiner la démocratie et à reproduire les erreurs d’impréparation du passé ».

Pour avoir les coudées franches, l’État doit prendre le contrôle total du groupe, et a chargé Luc Rémont de reprendre en main une série de défis techniques cruciaux.

Avant même de construire des EPR, EDF doit en effet gérer la prolongation de son parc presque quarantenaire. Pour l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), EDF devra apporter la preuve que ses réacteurs seront à même d’être prolongés au-delà de 50 ans, un seuil que les plus vieux d’entre eux atteindront à partir de 2030. D’ici là, après dix ans de déboires techniques, l’EPR de Flamanville censé être le fleuron de la technologie nucléaire, doit enfin être raccordé au réseau fin 2023, avec plus de dix ans de retard.

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Les turbines du réacteur de troisième génération EPR, le 14 juin 2022 à Flamanville, dans la Manche © AFP/Archives Sameer Al-Doumy

Mais en 2023-2024, la production risque encore d’être affectée par des chantiers de maintenance et de réparation, d’autant que la filière manque de 15 à 20 000 bras. « La filière est lancée dans un marathon pour les cinq prochaines années », estime Nicolas Goldberg.

Le branle-bas-de-combat a commencé pour accompagner la relance, qui passera par un « développement de l’attractivité » des métiers, le renforcement des compétences et l’amélioration de la performance des industriels, selon Olivier Bard, du GIFEN.

Depuis la falaise qui domine la forteresse nucléaire de Penly, là où le premier des nouveaux EPR est envisagé, le directeur du projet EPR2 d’EDF, Gabriel Oblin, l’assure : « On sera au rendez-vous » pour une mise en service en 2035. « Si c’est 2034, c’est mieux ! », a lancé le ministre.