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Vue de l'île de Eysturoy, dans l'archipel des Féroé, en octobre 2021 © AFP/Archives Jonathan Nackstrand

La preuve se nichait dans l'ADN des moutons : une étude génétique accrédite la thèse d'une installation humaine aux Iles Féroé plus ancienne qu'estimée, 350 ans avant les Vikings, et peut-être d'origine celtique. L'origine des peuplements précoces de l'archipel autonome danois égaré au milieu de l'Atlantique Nord est incertaine. L'arrivée des Vikings, venus d'Europe du Nord au milieu du IXe siècle de notre ère, reste la première preuve directe et documentée d'une occupation humaine.

Plusieurs indices suggèrent néanmoins une colonisation antérieure, et venue des îles britanniques : récits évoquant la présence de moines irlandais cent ans avant, noms de lieux dérivés du celte, gravures celtiques retrouvées sur des tombes... En 2006, des analyses d'ADN révélaient en outre une « forte asymétrie » génétique au sein de la population féringienne, héritière de gènes scandinaves du côté de ses ancêtres paternels, celtiques du côté maternel. Mais il manquait une preuve archéologique irréfutable, qu'une étude parue jeudi dans la revue Communications Earth & Environnement dit apporter.

Une équipe de chercheurs, passionnée par l'histoire climatique et humaine des îles de l'Atlantique Nord, est partie fouiller les sédiments d'un lac de l'île d'Eysturoy, l'une des dix-huit que compte l'archipel de 1.400 km2. - Traces de matière fécale - L'endroit, à proximité des vestiges d'une ancienne ferme d'un site archéologique viking bien connu, n'a pas été choisi au hasard. « Nous avons concentré nos efforts là, en pensant que si les Vikings s'y étaient installés, c'est que le lieu avait dû être attractif aussi pour des occupants antérieurs », raconte le paléoclimatologiste William D'Andrea, co-auteur de l'étude.

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Des moutons près du village de Hellur, sur l'île de Eysturoy, aux Iles Féroé, en octobre 2021 © AFP/Archives Jonathan Nackstrand

Et ils avaient vu juste : en passant les couches sédimentaires du lac au peigne fin, ils y ont déniché de minuscules fragments d'ADN de moutons, et trouvé une concentration de biomarqueurs issus de leurs matières fécales. Piégés depuis des siècles dans ces « archives » terrestres. Grâce à un séquençage rapide, ils ont pu les faire remonter entre la fin du Ve et le début du VIe siècle de notre ère. Les traces de matière fécale, des molécules spécifiques produites par le système digestif des mammifères, constituent selon l'étude un indicateur « sans équivoque » de présence humaine et animale - contrairement au pollen ou au charbon de bois par exemple, qui peuvent être modifiés par l'érosion ou les variations climatiques, et sont donc moins robustes.

Dans ces îles isolées à mi-chemin entre la Norvège et l'Islande, tous les mammifères ont été introduits par l'homme. « Il n'y avait pas de moutons sauvages avant les premiers peuplements », confirme William D'Andrea, qui travaille au Lamont-Doherty Earth Observatory de l'Université américaine de Columbia, dans l'Etat de New York. Sa datation des matières fécales coïncide avec une évolution de la végétation à la même période, révélée par une augmentation de la présence d'ADN des graminées et la disparition des plantes ligneuses : deux indices suggérant que ces premiers colons faisaient paître le bétail sur les îles, entre 300 et 400 ans avant le débarquement viking.

Reste à trouver la preuve scientifique que ces premiers colons étaient bien celtes, précise le Pr D'Andrea. Ce sera difficile, tant « les causes des migrations humaines sont diverses, entremêlées, liées à des questions climatiques, politiques, de ressources, ou tout simplement à l'esprit d'exploration de l'homme... Ne serait-ce pas formidable de pouvoir leur demander ? ».