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Les brevets déposés par des équipes féminines sont à 35% plus susceptibles de se concentrer sur la santé des femmes © AFP/Archives Andrew Caballero-Reynolds

Rem Koning, professeur de commerce à Harvard, étudie la manière dont les partis pris nuisent à l'innovation. Il y a trois ans, ses recherches l'ont touché personnellement : sa femme, atteinte d'une rare maladie suite à un accouchement, ne trouvait pas de traitement fait pour les jeunes mères.

« C'est sorti de nulle part, et c'était bien plus terrifiant que ça n'aurait dû l'être », dit M. Koning à l'AFP à propos du diagnostic : une pré-éclampsie post-partum, maladie caractérisée par une hypertension. « Ils peuvent traiter ça avec du magnésium pour faire baisser la tension artérielle, mais vous vous sentez vraiment mal ».

Le couple a aussi été déçu par la qualité des produits technologiques destinés aux mères et a pensé que c'était peut-être parce que la plupart des innovations médicales sont conçues par des hommes ne tenant pas compte des besoins des femmes. Tout cela a conduit M. Koning à mener une analyse de texte par machine learning (apprentissage automatisé du logiciel) sur plus de 440 000 brevets biomédicaux aux Etats-Unis, déposés de 1976 à 2010, dont les résultats ont été publiés par la revue Science.

En cherchant les noms des inventeurs et en les liant aux brevets, Rem Koning et ses collègues ont découvert que les brevets déposés par des équipes d'inventrices étaient à 35% plus susceptibles de se concentrer sur la santé des femmes. Les équipes en majorité féminines étaient à 18% plus susceptibles de concevoir des produits ayant les femmes à l'esprit, de la ménopause à la fibromyalgie.

Mais si l'impact des femmes mettant au point des inventions sur les produits liés à la santé des femmes est conséquent, leur représentation est faible.

6 500 inventions perdues

Les inventrices représentaient 25% des brevets déposés au cours des trois décennies analysées. Et l'équipe a estimé que si les brevets avaient été inventés par un nombre égal d'hommes et de femmes sur cette période, il y aurait environ 6 500 inventions de plus centrées sur les femmes sur le marché.

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Une biologiste du laboratoire pharmaceutique OSE Immunotherapeutics le 31 mars 2021 à Nantes © AFP/Archives Loïc Venance

« Malheureusement, des recherches antérieures ont montré que les femmes représentaient une minorité des brevets aux Etats-Unis, à la fois en biomédecine et dans d'autres domaines », selon M. Koning. « Nous n'avons donc pas été surpris, mais nous avons été déçus par le peu d'évolution dans les chiffres ».

Malgré des années d'amélioration, les femmes ne représentent que 27% de tous les travailleurs américains des disciplines STEM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques) d'après le recensement. Et l'écart dans les futurs produits bénéficiant aux besoins de santé des femmes persistera probablement.

Dans un commentaire lié à l'étude, Fiona Murray, qui conduit des recherches sur l'innovation et l'inclusion au Massachusetts Institute of Technology, a affirmé que les innovateurs issus d'horizons différents identifiaient les angles morts de la recherche et amélioraient la vie et la santé d'un plus grand nombre de personnes. L'ophtalmologiste afro-américaine Patricia Bath a ainsi obtenu un brevet en 1988 pour un système d'élimination de la cataracte au laser. L'invention a certes profité aux femmes, qui souffrent de manière disproportionnée de cette maladie des yeux, mais aussi à toutes les personnes qui en sont atteintes.

D'un point de vue commercial, pour M. Koning, une pénurie de femmes inventeurs peut avoir un impact négatif sur une économie qui lutte pour se remettre des effets de la pandémie de coronavirus. « Quand on ne donne pas la possibilité aux femmes d'inventer ou de créer de nouvelles entreprises, nous perdons de nouvelles idées, de nouvelles technologies et nous nous retrouvons donc avec une croissance économique plus lente », a-t-il déclaré. « Non seulement la société perd les idées des femmes, mais les consommatrices sont particulièrement défavorisées. »