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Une famille de macaques rhésus à Bombay, en Inde, le 21 juin 2021 © AFP Indranil Mukherjee

Les mères singes séparées de leurs nouveau-nés trouvent parfois du réconfort auprès de peluches. Cette découverte, issue d’une étude de l’université Harvard, a déclenché une vive controverse et relancé le débat éthique autour des essais sur les animaux. L’article de la neuroscientifique Margaret Livingstone, « Eléments déclencheurs de l’amour maternel », était passé quasi inaperçu lors de sa publication dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) en septembre.

Mais, une fois partagée sur les réseaux sociaux, l’étude a reçu une pluie de critiques et 250 scientifiques ont signé une lettre pour demander à la revue sa rétractation. Des associations défendant les droits des animaux ont rappelé les travaux passés de Margaret Livingstone, qui avait notamment suturé temporairement les paupières de bébés singes pour étudier l’impact sur leurs facultés cognitives. « Nous ne pouvons pas demander aux singes leur consentement, mais nous pouvons arrêter d’utiliser, de publier et, dans ce cas, de promouvoir activement des méthodes cruelles qui, nous le savons, causent une souffrance extrême », a écrit Catherine Hobaiter, primatologue de l’université écossaise de St Andrews.

La scientifique, co-autrice de la lettre à PNAS, a expliqué à l’AFP attendre une réponse de la revue avant de faire d’autres commentaires. Harvard et Margaret Livingstone, de leur côté, ont fermement défendu l’étude. Ses observations « peuvent aider les scientifiques à comprendre le lien maternel chez les humains », ce qui pourrait aider à mieux accompagner les femmes après une fausse-couche ou l’accouchement d’un enfant mort-né, a déclaré la faculté de médecine de Harvard dans un communiqué.

Dans un texte distinct, Margaret Livingstone a dit avoir « rejoint les rangs des scientifiques ciblés et diabolisés par les opposants à la recherche animale, qui veulent interdire sur tous les animaux des recherches pouvant sauver des vies ». Elle a précisé n’avoir pas cherché, au départ, à étudier le lien maternel, faisant cette découverte dans le cadre d’une autre recherche. Argument auquel les critiques répondent que la chercheuse a tout de même séparé intentionnellement des mères de leurs enfants, et que ses observations sur le réconfort tiré des peluches ne font pas avancer la science.

De tels travaux attirent régulièrement l’ire d’associations comme Peta (People for the Ethical Treatment of Animals), hostile à toute forme d’essai sur les animaux. Mais, de façon notable, cette controverse a provoqué de vives réactions au sein de la communauté scientifique même, a souligné Alan McElligott, chercheur à l’université municipale de Hong Kong.

Margaret Livingstone semble avoir reproduit une étude menée par Harry Harlow, célèbre psychologue américain, a-t-il dit à l’AFP. Ses travaux, vus comme révolutionnaires au milieu du 20e siècle, pourraient avoir contribué à la montée du mouvement pour la cause animale. Pour certains scientifiques interrogés, le cas est représentatif d’un problème plus large dans la recherche animale : des études discutables continuent à être publiées dans des revues prestigieuses.

Alan McElligott a cité un article de 2020, très critiqué, qui vantait l’efficacité de certains pièges afin de capturer jaguars et pumas pour des études scientifiques. Plus récemment, des expériences sur les ouistitis comprenant des opérations chirurgicales ont aussi créé la polémique.

L’équipe de l’université d’Amherst Massachusetts à l’origine de ces travaux a affirmé qu’étudier ces petits singes, dont les capacités cognitives déclinent en fin de vie, est essentiel pour mieux comprendre la maladie d’Alzheimer chez l’homme. Mais pour le camp adverse, les résultats sont rarement applicables d’une espèce à l’autre.

Concernant les essais médicamenteux sur les animaux, en revanche, le vent tourne. En septembre, le Sénat américain a voté une loi prévoyant de mettre fin à l’obligation de test sur les animaux avant tout essai humain pour les médicaments expérimentaux. L’immense majorité des médicaments qui réussissent les tests sur les animaux ne franchissent pas l’étape des essais humains, tandis que des nouvelles technologies permettent d’éviter cette étape.

Pour les opposants, les importantes subventions accordées aux universités et instituts — 15 milliards de dollars par an, selon l’association White Coat Waste Project — perpétuent un système dans lequel les animaux sont vus comme des ressources pour laboratoire. « Ceux qui mènent des expériences sur les animaux sont les poules aux œufs d’or de ces institutions, parce qu’ils rapportent plus d’argent », a déclaré la primatologue Lisa Engel-Jones, qui travaille désormais pour Peta. « Il y a une incitation financière à continuer ce qu’on fait et chercher à publier le maximum d’articles », a ajouté Emily Trunnell, neuroscientifique qui a mené des expériences sur des rongeurs et travaille elle aussi pour Peta.

La plupart des scientifiques ne partagent pas la position de Peta pour l’arrêt total de ces expérimentations, préférant une approche plus mesurée pour réduire l’utilisation des tests sur les animaux.