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Ixodes ricinus © Wikimedia

Avec ses nombreux espaces naturels et forêts, la Suisse est un pays à risque en matière de tiques. Cet acarien parasite qui se fixe sur les promeneurs ou les animaux est la cause d’infections graves, telles que la borréliose et l’encéphalite à tiques. Mais les tiques sont aussi souvent porteuses d’une grande quantité de chlamydiales, une bactérie encore peu connue, mais qui présente un risque de transmission et de maladie secondaire chez l’Homme. D’où l’idée des chercheurs du laboratoire des systèmes d’information géographique de l’EPFL (LASIG) et du CHUV (laboratoire de microbiologie du Centre hospitalier universitaire vaudois) de cartographier pour la première fois la répartition du parasite sur le territoire suisse et de répertorier la présence dans leurs organismes de ces bactéries. L’étude a été publiée dans la revue Applied and Environmental Microbiology le 16 octobre 2020.

Trois sources de données

La présence et l’activité des tiques sont influencées par de nombreux facteurs comme la température et l’humidité. Pour générer des cartes de leur répartition entre 2008 et 2018, Estelle Rochat, thésarde et auteur principale de l’étude, a tout d’abord identifié les facteurs environnementaux favorisant la présence de la tique à mouton (Ixodes ricinus), la plus répandue en Suisse. Pour cela, elle a croisé les données de trois bases : une campagne de terrain de l’armée suisse de 2009, pendant laquelle plus de 60 000 tiques ont été prélevées et analysées ; les milliers d’interactions d’utilisateurs d’une application pour smartphone leur proposant d’indiquer l’emplacement où ils en ont observé, et enfin une collecte de tiques menée par la chercheuse sur le terrain en 2018.

Pour les traiter, elle s’est appuyée sur une méthode de machine learning (une méthode d’intelligence artificielle) capable de prédire la probabilité de présence des tiques et des bactéries en fonction des valeurs prises par une série de variables environnementales (précipitations, température, humidité, etc.) autour des points de collecte.

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Carte de répartition de la tique Ixodes ricinus en Suisse en juin 2009 et juin 2018. On constate une augmentation de 10 %, notamment dans le nord-est, dans le Jura et dans la vallée du Rhône © LASIG

Grâce à ce programme, des estimations sur l’habitat des acariens ont pu être réalisées. Constat : l’espace favorable à leur développement est passé de 16 % du territoire suisse en 2009 à 25 % en 2018, soit une augmentation de près de 10 % en dix ans. Selon Estelle Rochat, les règles de probabilité sur lesquelles ce développement s’appuie permettent de savoir si un lieu, même un petit secteur, est propice aux développements des tiques, et donc des chlamydiales, ou s’il est peu probable d’en trouver.

Face à ces résultats, Gilbert Greub, coauteur de l’étude, spécialiste des chlamydiales des tiques et directeur de l’Institut de microbiologie du CHUV s’enthousiasme : « C’est un projet phare, suffisant au niveau suisse pour tirer des conclusions. On voit très clairement qu’entre 2008 et 2018, il y a eu une augmentation des zones à risque d’exposition aux tiques, ce qui est pour moi le reflet du réchauffement climatique. Ça montre que les tiques sont remontées de 300 à 400 mètres dans les étages alpins ». Cette cartographie est selon lui un très bon outil de prévention et de sensibilisation de la population. Il sera aussi utile à son laboratoire, qui continue les études cliniques sur l’influence des chlamydiales sur l’Homme lorsqu’elles sont transmises par les tiques.

Ce modèle développé au LASIG est désormais en open access et pourra servir à de futures recherches sur d’autres pathogènes portés par les tiques. « L’imbrication de niches écologiques est très intéressante. On l’a fait ici sur les chlamydiales parce que nous travaillions avec le spécialiste mondial Gilbert Greub, mais ce sont des projets qui peuvent aussi être déployés sur l’encéphalite à tique ou la maladie de Lyme. Les algorithmes nécessaires pour faire les calculs sur les variables environnementales sont à disposition et vont pouvoir être appliqués à d’autres jeux de données », se félicite Stéphane Joost, coauteur de l’étude, qui a supervisé la thèse d’Estelle Rochat au LASIG.