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Requins exposés sur un marché au Sri Lanka © Getty Images/Aleksandar Kamasi

Il y a dix ans, les membres des Nations unies passaient un accord pour contrer la perte de biodiversité : les « 20 objectifs d’Aichi » (Plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020). L’heure est à l’évaluation des progrès obtenus en la matière. Or une étude parue le mercredi 27 janvier dans la revue Nature révèle des données particulièrement inquiétantes sur les requins et les raies océaniques dans le monde. Des experts internationaux appartenant au Global trend sharks project de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) à l’origine de l’étude alertent : non seulement leur population a subi une chute de 71 % depuis 1970, mais en outre plus des trois quarts de ces espèces océaniques sont maintenant menacées d’extinction.

« Des sonnettes d’alarme avaient déjà retenti au cours des dernières décennies », explique Nathan Pacoureau, biologiste à l’université canadienne Simon Fraser, et co-auteur de l’étude. « Mais cela ne concernait qu’une espèce ou un groupe donné. Nous n’avions aucune donnée globale concernant les populations de requins et de raies océaniques, contrairement aux animaux terrestres comme les mammifères, les amphibiens, les reptiles, plus faciles à suivre et à étudier ».

Pour dresser un bilan exhaustif, Nathan Pacoureau et ses collègues ont donc récolté et compilé un maximum de données d’origines diverses issues de suivis scientifiques sur le terrain, de visite de marchés et de ports de pêche, des informations publiées dans des revues scientifiques, mais aussi dans la littérature grise des rapports de gouvernements. À l’issue de ce travail, deux indicateurs ont pu être élaborés pour ces espèces : l’indice de planète vivante ou living planet index, qui a permis de suivre l’état des populations depuis les années 1970, complété par l’indice de liste rouge red list index de l’IUCN (Union internationale pour la conservation de la nature) qui lui, suit l’évolution du risque d’extinction des espèces.

Pour les 18 espèces pour lesquelles ils disposaient de plus de données, les chercheurs concluent à une chute des populations supérieure à 70 % (71,1 %) de 1970 à 2018. De plus, sur les 31 espèces océaniques, 24 sont maintenant menacées d’extinction. Trois (le requin océanique, le requin-marteau halicorne et le grand requin-marteau) ont baissé si fortement (plus de 80 %) qu’ils sont maintenant classés en danger critique d’extinction – la catégorie la plus menacée dans une liste produite par l’UICN. 

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Déclin important du nombre de requins © AFP John Saeki

Nicholas Dulvy, chercheur au département des sciences biologiques de l’université canadienne Simon Fraser, co-président du Groupe de spécialistes des requins de l’UICN et co-auteur de l’étude, estime que ce chiffre est voisin, voire pire, pour d’autres raies et requins océaniques, mais sans pouvoir l’affirmer faute de données suffisantes. 

« Même si ce n’est pas une surprise, c’est un déclin assez exceptionnel, et c’est choquant même pour des spécialistes des requins », alerte Nathan Pacoureau. La cause principale de ce déclin est bien connue : la surpêche. En effet, dans le monde entier, les requins sont prisés pour leur viande, leurs ailerons, leurs branchies et l’huile extraite de leur foie. À l’échelle mondiale, les prises de requins, de raies et d’espèces voisines ont été multipliées par plus de trois depuis les années 1950 pour atteindre un pic en 2003, avant de décroître depuis cette date, selon Nicholas Dulvy. Mais cette diminution s’explique moins par les progrès de la gestion des populations que par leur déclin, selon des études récentes. La capture des requins et des raies étant rarement réglementée, les prises totales pourraient être en réalité trois à quatre fois supérieures aux captures déclarées.

En outre, ces espèces sont particulièrement vulnérables à la surexploitation : les animaux grandissent lentement et ont une reproduction parmi les plus lentes de tous les vertébrés.

La régression des effectifs de requins et la détérioration de la santé de leur écosystème nourrissent de vives inquiétudes : la perte de prédateurs de haut rang s’accompagne presque toujours d’une poursuite de la dégradation des écosystèmes marins.

Face à ces résultats inquiétants – et dorénavant quantifiés grâce à des indicateurs fiables –, les auteurs de l’étude espèrent attirer l’attention sur la « menace majeure » qu’est la surpêche. Or la protection des requins et des raies n’est pas inscrite comme prioritaire par les organismes réglementant les pêches internationales. Il suffirait de restrictions accrues et d’une meilleure application des règles existantes pour améliorer la situation, car le déclin des espèces n’est pas irréversible si l’on engage des efforts de conservation, rappellent les chercheurs.