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La goélette Tara quitte le port de Lorient le 12 décembre 2020 © AFP Fred TANNEAU

« On va prélever de l’invisible ». La goélette Tara a mis les voiles samedi depuis Lorient, cap vers l’hémisphère Sud, pour une nouvelle mission scientifique qui doit sonder les mystères des micro-organismes marins, et comprendre le rôle clé qu’ils jouent sur l’écosystème océanique.

Le célèbre voilier conçu par l’explorateur Jean-Louis Étienne s’est élancé en fin d’après-midi, par temps frais et sec, de son port d’attache breton, dont les quais étaient quasiment déserts, Covid oblige. « C’est très bizarre, d’habitude notre départ est festif, il y a la foule, des animations… », a commenté Romain Troublé, directeur général de la fondation Tara Océan, soulagé que le projet démarre enfin après maints reports liés à la crise sanitaire. La date finalement arrêtée, samedi, est symbolique, puisque c’est le jour du 5e anniversaire de l’accord de Paris sur le climat. « Elle rappelle que le court terme, avec la crise du Covid, ne doit pas nous faire oublier les enjeux du long terme » du réchauffement climatique, dont l’océan est le « parent pauvre », selon Romain Troublé.

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La goélette Tara quitte le port de Lorient le 12 décembre 2020 © AFP Fred TANNEAU

Le navire – 36 mètres de long, 10 mètres de large – file droit vers Punta Arenas au sud du Chili, où les premiers scientifiques embarqueront en février. Il doit parcourir au total de près de 38 000 milles (70 000 km) en mer, avec 21 escales, pendant 21 mois. Objectif : sonder le « microbiome », cette face cachée des océans constituée de millions d’espèces pour la plupart invisibles à l’œil nu : virus – un simple seau d’eau de mer en contient dix milliards –, bactéries et organismes unicellulaires ni plantes, ni animaux, comme les protistes ou les archées. Ils peuvent vivre flottants, attachés aux autres organismes comme le zooplancton, ou à l’intérieur d’autres organismes, à l’instar du microbiote humain, ces milliards de micro-organismes vivant dans notre intestin. 

« Boule de cristal »

Décrits dès la fin du XIXe siècle par biologiste allemand Ernst Haeckel, et largement répertoriés grâce à la précédente mission « Tara Océans », ces micro-organismes représentent « au moins deux tiers de toute la biomasse des océans », soit quatre fois plus que la biomasse cumulée de tous les insectes sur Terre, explique Chris Bowler, directeur scientifique du consortium Tara Océan.

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Une partie de l'équipage de la goélette Tara au large de Lorient le 12 décembre 2020 © AFP Fred TANNEAU

Mais de leur fonctionnement, on ignore tout. L’enjeu de « Tara Microbiome » est donc de sonder le « théâtre d’activité » de cette vie microbienne, essentielle à tout l’écosystème océanique, et qui constitue le premier maillon de la chaîne alimentaire. Comment ce peuple invisible produit-il de l’oxygène ? Comment stocke-t-il le CO2 ? Comment réagit-il au réchauffement climatique, aux pollutions ? « On va se mettre dans la peau d’un microbe pour comprendre », résume Colomban de Vargas, directeur de recherche au CNRS, co-directeur de la mission « Microbiomes ».

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Un membre de l'équipage de la goélette Tara au large de Lorient le 12 décembre 2020 © AFP Fred TANNEAU

À bord, l’équipage sondera l’eau de mer jusqu’à 1 000 mètres de profondeur, collectera plusieurs dizaines de milliers d’échantillons, qui seront conservés à des températures de froid extrême dans de l’azote liquide. « On va prélever de l’invisible », ironise Romain Troublé.

Après le Chili, la goélette longera l’Amérique du Sud jusqu’au canal de Panama, transitera par les Antilles françaises, redescendra le long de l’Amazonie, de l’Argentine, puis mettra le cap sur la mer de Weddell, en Antarctique. De l’Antarctique, elle remontera en Afrique du Sud, en mars 2022, puis longera le continent africain, avec plusieurs escales, avant de rejoindre Lisbonne en septembre 2022 et de rentrer en France. Ce trajet assez proche des côtes permettra d’échantillonner des « gradients », des paramètres environnementaux qui changent très rapidement dans un espace réduit du fait de l’interaction entre la Terre et la mer (différences de salinité et de température quand un glacier fond, de niveau pollution quand un fleuve se jette dans le mer, etc.).

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La goélette Tara s'engage en Atlantique au large de Lorient le 12 décembre 2020 © AFP Fred TANNEAU

« Ces gradients sont un résumé à une petite échelle d’une variation qui va se réaliser à l’échelle planétaire. C’est une boule de cristal », analyse Colomban de Vargas, directeur de recherche au CNRS. Au total, quinze marins et 80 chercheurs se relaieront à bord, avec 42 institutions scientifiques impliquées dans 13 pays, dont la France, le Chili, le Brésil, l’Italie ou l’Afrique du Sud.

Après Tara Océans, Tara Pacific et Tara Microplastiques notamment, Tara Microbiomes est la 12e mission depuis le lancement, en 2003, de ces expéditions par Étienne Bourgois et Agnès B.