Reportage au synchrotron Soleil lors des essais réalisés par Paul Loubeyre, Florent Occelli et Paul Dumas.

Cela fait 85 ans que les physiciens tentent de réaliser cette prouesse scientifique, et tout porte à croire qu’une équipe française y est enfin parvenue : transformer l’hydrogène en métal ! Après plusieurs mois de suspens, la célèbre revue Nature vient en effet de publier les travaux de Paul Loubeyre (CEA), Florent Occelli (CEA) et Paul Dumas (synchrotron Soleil) qui marquent une nouvelle étape dans la physique des matériaux condensés.

L’enjeu autour de l’hydrogène métallique est avant tout scientifique. En 1935, en s’appuyant sur la toute jeune physique quantique, le futur prix Nobel Eugene Wigner prédit que l’hydrogène soumis à de très hautes pressions pourrait devenir métallique. Hélas, malgré les efforts de nombreux laboratoires à travers le monde, personne n’avait jusqu’à présent réussi à obtenir cet état de la matière. Et pour cause : les pressions requises sont de l’ordre de celles qui règnent au centre de la Terre : plus de 4 millions d’atmosphères. Mais comment parvenir à de telles pressions ?

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© Olivier Boulanger / Le Blob.fr

La piste la plus étudiée par les scientifiques consiste à compresser une très petite quantité d’hydrogène gazeux dans un étau constitué de diamants, un matériau à la fois étanche et suffisamment résistant pour soutenir de telles contraintes.

Le problème, c’est que les diamants ne sont pas éternels : ils cassent très facilement ! Mais en les sculptant très précisément grâce à un faisceau d’ions, l’équipe de Paul Loubeyre est finalement parvenue à obtenir des diamants capables de supporter 4,25 millions d’atmosphères.

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Paul Loubeyre (CEA), Florent Occelli (CEA) et Paul Dumas (synchrotron Soleil) © Olivier Boulanger

Pour vérifier l’état de l’hydrogène à une telle pression, les chercheurs ont procédé à une analyse optique de leur échantillon grâce à une lumière infrarouge à la fois puissante et précise, celle du synchrotron Soleil situé sur le plateau de Saclay. Or le résultat montre qu’à 4,25 millions d’atmosphères, les électrons de l’hydrogène se déplacent comme ils le feraient au sein d’un métal. Il s’agit néanmoins d’une mesure indirecte du caractère métallique de l’hydrogène, qui devra être confirmé par d’autres approches méthodologiques lors d'expériences futures.

Ce n’est pas la première fois qu’une telle annonce est faite. En 2017, une équipe de Harvard avait clamé dans la revue Science qu’elle était parvenue à obtenir de l'hydrogène métallique. La publication avait cependant fait l’objet de nombreuses critiques par les spécialistes : les chiffres paraissaient excessifs, les mesures insuffisantes, au point que plus personne aujourd’hui ne reconnaît ce résultat. Ceux obtenus par l’équipe française semblent en revanche plus solides. La revue Nature en a d’ailleurs retardé la publication de plusieurs mois afin de vérifier au sein de la communauté scientifique que tout biais expérimental avait pu être écarté.

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L’hydrogène métallique pourrait se comporter comme un supraconducteur... mais à température ambiante !

Au printemps prochain, Paul Loubeyre et son équipe lanceront une nouvelle campagne d’expérimentations au synchrotron Soleil. Il s’agira d’abord de confirmer ce résultat par d’autres protocoles, toujours avec de la lumière infrarouge, mais par une mesure de réflectivité de l’échantillon plutôt que de transmission.

Il s’agira également de monter plus haut en pression afin de mieux comprendre cet état si particulier de la matière. Un état qui en fait fantasmer plus d’un ! Sous sa forme métallique, l’hydrogène pourrait en effet présenter des propriétés étonnantes. À température ordinaire, il pourrait être supraconducteur et donc conduire l’électricité sans aucune perte. Sous sa forme liquide, il pourrait être superfluide et donc s’écouler sans aucun frottement. Et en concentrant énormément d’énergie, il pourrait constituer un combustible de choix notamment pour l’industrie spatiale. Une perspective qui, pour l’heure, demeure cependant très lointaine.