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Représentation du cochon sauvage de 45 500 ans, trouvée au fond de la grotte de Leang Tedongnge, dans l'île de Sulawesi © AA Oktaviana

Depuis quelques années, les découvertes en matière d’art pariétal préhistorique s’accumulent en Indonésie, particulièrement dans l’île de Sulawesi (nom indonésien des Célèbes). C’est donc sans surprise qu’une équipe associant des chercheurs d’universités australienne et indonésienne révèle l’existence de nouvelles représentations de cochons sauvages, une espèce ancienne et endémique, dans deux grottes d’une vallée du sud de l’île. Dans un état plus altéré que la scène de chasse découverte il y a plus d’un an à proximité, dans la grotte de Leang Bulu' Sipong 4, ces peintures repoussent cependant pour l’une d’entre elles, la datation à 45 500 ans, -1500 ans plus tôt que la précédente –, devenant ainsi la représentation animale la plus ancienne connue à ce jour, probablement réalisée par Homo sapiens.

Sulawesi est la plus grande île (174 000 km2) de Wallacea (ou Wallacées), une zone bio-géographiquement distincte d’îles océaniques, située entre l’Asie continentale et l’Australie. Elle a une longue histoire d’occupation humaine : les preuves archéologiques les plus anciennes, des artefacts en pierre associés à des fossiles de méga-faune datés de 194 000 à 118 000 ans pourraient refléter une colonisation par un hominine archaïque non encore identifié. En outre, certains modèles de peuplement humain primitif de Sahul – plateau continental dont les parties émergées sont aujourd’hui l’Australie, la Tasmanie et la Nouvelle-Guinée – reposent sur l’hypothèse que l’île aurait constitué le premier « arrêt » d’une série de traversées océaniques à travers le nord de Wallacea jusqu’à la pointe ouest de la Nouvelle-Guinée.

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Grotte de Leang Tedongnge © AA Oktaviana

Mais c’est surtout le grand nombre de fresques préhistoriques retrouvées dans des grottes qui mobilise l’attention des archéologues. Depuis 70 ans, au fil du temps, quelque 300 grottes et abris avec des représentations pariétales ont été répertoriées à Maros-Pangkep, une plaine karstique (calcaire) d’environ 450 km2 dans la péninsule sud-ouest de l’île. Deux sites d’art rupestre sont également connus, à environ 35 km à l’est dans le département de Bone. « Et chaque année on en découvre de nouvelles » témoigne Maxime Aubert, archéologue à l’université Griffith en Australie, fin connaisseur de la région et co-auteur de l’étude.

Cet art rupestre se caractérise par des pochoirs à la main et des peintures animalières figuratives. Dans la plupart des cas, les images d’animaux ont été exécutées dans une gamme de couleurs variant de l’ocre rouge au violet, à l’aide de pinceaux ou du bout des doigts. Les artistes préhistoriques représentent souvent les animaux de profil avec des contours simples. Ceux-ci sont généralement remplis de motifs irréguliers, comme des lignes et de tirets peints plutôt que de détails anatomiques identifiables. Le plus souvent ce sont les plus gros mammifères terrestres endémiques de l’île : les suidés (porcs) et les bovidés nains. La plupart semblent représenter cependant Sus celebensis (porc verruqueux de Sulawesi), un petit cochon (40 à 85 kg) à pattes courtes avec des verrues faciales caractéristiques. Une espèce toujours présente sur l’île.

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Tête de sanglier de profil sur une paroi de la grotte de Leang Tedongnge. Elle a été dessinée à l'ocre à l’aide de pinceaux ou du bout des doigts © AA Oktaviana

Quelque 73 motifs pariétaux distincts représentant des suidés (81,1 % des représentations animales) ont été identifiés dans la vallée de Maros-Pangkep et Bone. Jusqu’à présent, seules cinq peintures figuratives d’animaux de Maros-Pangkep ont été datées à l’aide de l’isotope d’uranium, qui consiste en l’analyse de la dégradation de l’isotope dans des dépôts de carbonate de calcium, calcite recouvrant les dessins sur les parois. Datées d’au moins 17 000 à 44 000 ans, certaines d’entre elles proviennent de la fameuse scène de chasse de de Leang Bulu' Sipong 4 représentant plusieurs personnages ressemblant à des humains, ainsi que des thérianthropes (mi-animal – mi-humain) chassant apparemment des sangliers.

Des dessins encore plus anciens

Les deux représentations de suidés retrouvées en 2017 et 2018 dans des grottes calcaires jusqu’alors inconnues, de Leang Tedongnge et Leang Balangajia 1, et qui font l’objet de l’étude parue le 13 janvier dans la revue Science Advances, sont dans la même veine artistique que les représentations retrouvées précédemment dans la région. Elles confirment, pour l’une, et repoussent encore un peu plus, pour l’autre, les origines de l’art figuratif préhistorique.

Dans la grotte de Leang Tedongnge, la figure la plus remarquable, positionnée sur la paroi arrière de la grotte et mesurant 136 cm sur 54 cm, est associée à deux pochoirs à main situés au-dessus et à proximité de l’arrière-train. Au moins deux ou trois autres figures de cochons peuvent être distinguées sur le même panneau. La disposition des figures évoque, selon les chercheurs, une composition ou une scène narrative au sens occidental moderne. Cependant la scène  altérée laisse libre cours à l’interprétation : est-ce une nouvelle scène de chasse ? Les scientifiques n’en savent rien car « à Sulawesi, il fait tellement chaud et humide, – avec l’augmentation de la pollution –, que la surface de la roche s’effrite et que la plupart des peintures disparaissent, contrairement à ce que l’on a retrouvé en Europe »,  indique Maxime Aubert.

Pour les archéologues, en dépit de leur fragilité, le grand nombre de peintures préhistoriques retrouvées dans les grottes de Sulawesi offre une opportunité sans précédent : la possibilité de dater de nombreux échantillons pour se rapprocher le plus possible de la date de leur création. « Plus on date d’échantillons, plus ils sont anciens », constate Maxime Aubert. D’ailleurs, précise-t-il, « on ne date que la couche de calcite qui s’est formée au-dessus du dessin : elle peut s’être formée il y a 20 00 ans, 30 000 ans, 45 000 ans… mais les peintures peuvent être beaucoup plus anciennes, peut-être 60 000 ans (…). Il faut juste dater toujours plus d’échantillons (pour se rapprocher de la date exacte, ndlr) ».

Les datations faites dans les deux grottes – grâce à la datation isotope de la série uranium – confirment cette approche : au moins de 45 500 ans pour Leang Tedongnge et de 32 000 pour Leang Balangajia 1. Les résultats repoussent donc de plus 1500 ans leur origine par rapport à celle trouvée précédemment dans la grotte de Leang Bulu' Sipong 4. « C’est la plus vieille preuve attestant que l’Homme était là il y a au moins 45 500 ans » s’enthousiasme Maxime Aubert. « On sait que l’homme moderne est arrivé en Europe il y a environ 40 000 ans et qu’il était probablement en Asie et en Australie il y a au moins 60 à 65 000 ans, donc on peut avoir des peintures qui sont aussi anciennes », souligne-t-il.

L’idée qu’Homo sapiens aurait pu être établi à un moment aussi précoce à Sulawesi ou ailleurs à Wallacea, ou dans la région au sens large, reste raisonnable, estime donc l’équipe. Cependant, sur la base des preuves disponibles – aucun reste ou artefact n’a été retrouvé jusqu’à présent sur l’île –, les chercheurs ne sont pas en mesure de conclure que la représentation datée de l’art pariétal figuratif de Leang Tedongnge est l’œuvre de membres cognitivement « modernes » de notre espèce. Cela semble pourtant être l’explication la plus probable compte tenu de leur sophistication et du fait que la représentation figurative n’a jusqu’à présent été attribuée qu’à Homo sapiens partout ailleurs dans le monde. Si tel était le cas, la figure de Leang Tedongnge pourrait être une des premières preuves, à défaut d’être la plus ancienne, de la présence de notre espèce dans le Wallacea à cette période.