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Image composite de la galaxie NGC 4303, à 55 millions d’années-lumière, prise avec l’instrument Muse du VLT de l’Eso et diffusée le 16 juillet 2021, avec des nuages dorés marquant la présence de nouvelles étoiles et des zones bleutées où se trouvent de plus anciennes © Eso/AFP Handout

Des scientifiques ont cartographié pour la première fois un vent galactique, le réservoir de gaz d’une galaxie, et ainsi observé une partie de sa matière « manquante », selon une étude parue jeudi. 

« Les galaxies sont rarement des îlots passifs d’étoiles » mais plutôt des structures dynamiques, dont on peine à étudier la formation et l’évolution, remarque l’astrophysicien Nicolas Bouché, interrogé par l’AFP. Une compréhension rendue d’autant plus difficile que selon la théorie, les galaxies sont constituées avant tout d’une mystérieuse matière noire, de nature inconnue et donc invisible, et pour environ 16 % seulement de matière baryonique, celle des atomes et molécules de l’Univers visible. Comme si cela ne suffisait pas, l’observation des galaxies ne révèle que 20 % de cette matière baryonique. Le reste – la matière « manquante » – serait renvoyé dans l’espace par le vent galactique, une nébuleuse de gaz et de poussière provoquée par l’explosion d’étoiles au sein de la galaxie.

Une équipe internationale menée par des chercheurs du Centre de recherche d’astrophysique de Lyon (Cral) a cartographié une telle nébuleuse de matière manquante à l’aide du spectrographe Muse, couplé au Très Grand Télescope (VLT) de l’Observatoire européen austral installé dans le désert chilien de l’Atacama. « C’est comme si l’on voyait un iceberg pour la première fois », commente Nicolas Bouché, chercheur au Cral et cosignataire de l’étude publiée dans la revue britannique MNRAS, avec son principal auteur, Johannes Zabl, du département d’astronomie de l’université canadienne de Saint Mary. 

Des chercheurs avaient déjà observé des nébuleuses de galaxies, mais beaucoup plus diffuses. Cette fois, l’observation de Gal1, une galaxie assez jeune d’environ un milliard d’années, a mis en évidence « un nuage de gaz produit par ces vents galactiques, qui s’échappe des deux côtés du disque de la galaxie, par deux cônes asymétriques ».

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Une femme regarde la Voie lactée dans le désert al-Salmi au Koweït, le 9 août 2021 © AFP Yasser Al-Zayyat

De dimensions gigantesques, ce nuage persistant s’étend jusqu’à plus de 80 000 années-lumière du centre de Gal1. A titre de comparaison, le diamètre de notre Voie lactée est d’environ 100 000 années lumière. Malgré sa taille, cette nébuleuse de gaz représente seulement « 10 à 20 % de la masse de la galaxie » observée, remarque M. Bouché. Elle agit comme un réservoir de matière, dans lequel la galaxie puise pour alimenter sa formation d’étoiles. Une partie du nuage retomberait dans le disque galactique pour former ces étoiles, dont certaines, en finissant par exploser, renverraient de la matière vers la nébuleuse, et ainsi de suite.

Les scientifiques ont pu établir une « carte » de cette nébuleuse, renseignant sur son volume et sa masse, grâce à un heureux concours de circonstances et au remarquable instrument Muse. Le spectrographe à grand champ fournit une image en trois dimensions, où aux deux dimensions de l’optique s’ajoute celle de l’analyse de la lumière, qui permet de détecter la présence d’éléments primordiaux. En l’occurrence un quasar – un objet particulièrement lumineux de l’Univers – a servi, par sa proximité avec la galaxie Gal1, de « phare », en y trahissant la présence de magnésium. « Nous avons alors détecté ce même élément dans la galaxie, et donc la présence du gaz qui lui est associé », raconte M. Bouché. L’observation des deux cônes de gaz n’a été rendue possible, de surcroît, que parce que la galaxie se présentait quasiment de profil pour l’observation. 

Les astronomes connaissaient déjà ce type de nébuleuse dans l’univers proche de nous, et donc récent, remarque un communiqué du CNRS. Mais on ne faisait que supposer leur existence pour des galaxies jeunes, encore en formation, comme Gal1, saisie quand l’Univers, plus lointain, avait sept milliards d’années, soit à peu près la moitié de son âge actuel.

Les chercheurs vont maintenant observer plusieurs galaxies, pour « comprendre pourquoi Gal1 a un nuage et d’autres pas, et quelles conditions favorisent sa présence », selon M. Bouché.