Les toutes premières maisons imprimées en 3D sont sorties de terre il y a cinq ans à peine, mais les projets se multiplient déjà un peu partout dans le monde : Chine, Russie, États-Unis, Émirats arabes unis, Pays-Bas, France… Il faut dire que cette nouvelle technique de construction basée sur la fabrication additive (empilement successif de couches de matériaux comme le béton) cumule les avantages et permet d’édifier des bâtiments en un temps record et à moindre coût, tout en offrant une grande liberté de conception aux architectes. Après avoir conquis de nombreux autres secteurs, l’impression 3D est donc en passe de relever les défis de la construction : régularité et résistance. À tel point que certains voient déjà cette technique encore balbutiante comme le futur procédé de référence dans la construction de bâtiments, voire comme l’une des solutions les plus prometteuses pour résoudre la crise du logement qui menace une planète en plein essor démographique.

L’un des premiers bâtiments imprimés sur site

Les bureaux de la Dubaï Future Foundation (l’organisme dubaïote chargé de la prospective), inaugurés en mai 2016 aux Émirats arabes unis, font partie des tout premiers locaux opérationnels au monde imprimés en 3 D. L’impression a été réalisée in situ par un bras robotisé de six mètres de hauteur en 17 jours seulement, et pour un coût réduit de 50 % par rapport à une construction traditionnelle de même surface (250 m2), selon le gouvernement de Dubaï. Cette ville du Moyen-Orient, connue pour son dynamisme immobilier symbolisé par la Burj Khalifa (la plus haute tour du monde), s’est fixé pour objectif de construire 2 % de ses bâtiments neufs en impression 3D dès 2019, pour atteindre 25 % en 2025.

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© Dubai Future Academy

La difficile conquête du bâtiment

Le secteur du bâtiment est le dernier en date d’une longue liste de secteurs d’activité séduits par les performances de l’impression 3D.

Apparue à la fin des années 1980, la technique d’impression 3D consiste à déposer des couches successives de matière, se collant les unes aux autres, afin de fabriquer des objets en trois dimensions. Les professionnels l’appellent aussi « fabrication additive », par opposition aux techniques classiques qui, au contraire, recourent aux retraits successifs de matière (découpe, rabotage, usinage, ponçage…). Initialement utilisée pour la fabrication de prototypes, l’impression 3D a vite montré l’étendue de son potentiel en s’améliorant – notamment en rapidité et en solidité – et en conquérant de nombreux secteurs industriels (aéronautique, automobile, médecine, etc.) grâce à un éventail de matériaux de plus en plus vaste : résine polymère, plastique, métaux, verre, céramique, cellules vivantes… et plus récemment béton. Mais avant que le monde du bâtiment puisse bénéficier de sa flexibilité, de sa rapidité d’exécution et de sa sobriété en matières premières – synonymes de baisse des coûts de fabrication –, les laboratoires ont dû longuement travailler pour adapter la technique à ce nouveau secteur d’activité. Il a d’abord fallu inventer une nouvelle famille d’imprimantes 3D en accord avec la grande taille des constructions, et des procédés de dépôt de matière couche par couche compatibles avec les particularités du béton. Si bien que les premières expériences de bâtiments imprimés en 3D n’ont vu le jour qu’en 2015.

Pas de limite de taille

Grâce à des imprimantes de plus en plus grandes et performantes, il est désormais possible de construire des habitations de grande taille. Comme ici, avec ce bâtiment de 640 m² en cours de construction à Dubaï, le plus grand jamais imprimé en 3D à ce jour. Le précédent record était détenu par un manoir de deux étages et de 400 m² de surface construit en Chine. Selon les experts, rien ne s’oppose en théorie à ce que des buildings ou des tours soient un jour construits en impression 3D.

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©Apis Cor

Quand les robots remplacent les maçons

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Infographie : Julien Tredan-Turini

Un béton de haute technologie

Derrière son apparente simplicité, l’utilisation de béton en fabrication additive constitue un vrai défi.

L’impression 3D de béton fait appel à la technique de l’extrusion, qui consiste à faire passer un matériau à travers un orifice de section donnée (une buse) pour lui donner la forme désirée. Poussé dans un tuyau par une vis sans fin ou par une pompe, le béton sort par la buse qui lui donne une forme de cylindre ou de ruban plus ou moins aplati. Cette technique est directement inspirée des imprimantes 3D grand public qui déposent un fil de plastique fondu, mais a toutefois nécessité de relever plusieurs défis liés au dépôt du béton couche après couche. Il faut tout d’abord que celui-ci ait la bonne forme et la bonne consistance, pour que la couche déposée ne s’affaisse pas sous l’effet de son propre poids, et qu’elle soit suffisamment résistante pour ne pas se déformer sous le poids des couches suivantes. L’étude de ces contraintes (un domaine de recherche appelé « rhéologie ») a conduit à la mise au point de nombreuses formes de buses, et à l’utilisation de granulats inférieurs à 4 millimètres de diamètre dans la composition du béton pour obtenir la consistance voulue. Les constructeurs ajoutent également des additifs, comme des adjuvants chlorés ou non alcalins, pour accélérer la prise, c’est-à-dire le moment où le ciment commence à sécher, ainsi que le durcissement, et donc la résistance à la charge à long terme. Ces bétons très techniques, dits à « ultra-haute performance », sont jusqu’à cinq fois plus onéreux que les bétons classiques. Mais les avantages de l’impression 3D sont tels que ce surcoût est rapidement rentabilisé.

Des murs en béton, mais pas seulement…

À terme, les chercheurs espèrent mettre au point des imprimantes permettant de déposer non seulement du béton, mais aussi l’isolation, l’électricité, etc. Initiée avec le béton, l’impression 3D de bâtiments commence déjà à diversifier les matériaux utilisés pour intégrer des ressources locales comme le bois, la paille ou la terre. Des habitations de fortune pourraient ainsi être construites en l’espace de quelques heures et de manière économique afin de loger dans l’urgence des populations victimes de catastrophes naturelles (cyclones, tempêtes, séismes…). Une autre piste serait d’étendre l’impression 3D aux autres éléments de construction, à commencer par l’isolation. Ainsi, pour un logement social de Nantes édifié en 2018, un mur en béton a été coulé entre deux parois de mousse expansive imprimées en 3D. Ayant d’abord servi de moule, cette mousse a ensuite servi à l’isolation thermique finale du bâtiment. Mais l’impression 3D ne se limite pas aux murs et cloisons : un constructeur suédois a par exemple mis au point une machine capable d’imprimer, à partir de granulés en matériaux polymères ou en résine, des portes et des montants de fenêtres allant jusqu’à 1,5 mètre de largeur pour 2,5 mètres de longueur. À terme, les constructeurs espèrent pouvoir imprimer à la volée tous les éléments d’une maison : réseau de câblage électrique, mobilier, aménagements, toiture… Mais dix années de recherche au moins seront encore nécessaires pour cela.

Une libération pour le design

Contrairement aux techniques traditionnelles, avec l’impression 3D, la personnalisation ou l’originalité du design n’a pas – ou peu – d’impact sur le coût final de construction : seule importe la quantité de matière utilisée. Cette technique est ainsi plébiscitée par les architectes, qui y voient une façon simple et souple de donner libre cours à leur créativité.

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    Cette drôle de cabane urbaine a vu le jour à Amsterdam (Pays-Bas) en 2015. Imaginée par le cabinet d’architectes néerlandais DUS, elle est imprimée en bioplastique et pourrait servir de logement d’urgence avant d’être détruite et recyclée.
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    Le constructeur américain de maisons imprimées WePrintHouses propose plusieurs modèles clé en main, dont cette villa-yacht (le modèle Exodus) de 1750 m², inspirée des bateaux de luxe, spécialement dessinée pour laisser entrer un maximum de lumière.
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    Le cabinet d’architectes américain WATG et le constructeur Branch Technologie envisagent la création de villas organiques de 93 m2 baptisées Curve Appeal, dont les courbes sont directement inspirées de la nature.
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    Avec ce projet intitulé Tecla, le constructeur italien Wasp vise à construire des maisons-igloos imprimées à partir de matériaux locaux entièrement recyclables, comme l’argile. Le premier prototype sera construit à Bologne, en Italie.
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    Le projet Milestone, qui prévoit la construction de 5 maisons-galets à Eindhoven (Pays-Bas), se présente comme le premier programme immobilier pour particuliers au monde entièrement basé sur l’impression 3D.
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    Ce chalet-ruche imprimé à l’aide d’un composite biopolymère à base de maïs ou de canne à sucre a été imaginé par AI SpaceFactory (projet Tera), spécialisée dans l’habitat de demain « sur Terre ou sur les autres planètes ».

Imprimer une base sur une autre planète...

Grâce à l’exploitation des ressources locales, l’impression 3D est une technique séduisante pour la construction de bases spatiales.

Les agences spatiales, notamment l’Esa européenne et la Nasa américaine, réfléchissent depuis quelques années à la meilleure façon de construire une base sur la Lune ou sur Mars, afin d’abriter les astronautes durant des missions de longue durée. Ce faisant, elles s’intéressent de près à l’impression 3D, car cette technique permettrait de construire des habitats spatiaux en utilisant des matières premières collectées sur place, ce qui éviterait de devoir expédier de lourdes cargaisons dans l’espace. Des études de faisabilité ont montré qu’il serait par exemple possible d’utiliser le régolite – la poussière qui recouvre en abondance la surface de notre satellite – et de la solidifier couche après couche à l’aide de petits véhicules robotisés qui y injecteraient une colle chimique spéciale, pour la transformer en pierre. Cette technique d’impression 3D a déjà fait l’objet de tests sur Terre, dans les conditions du vide, avec une poussière volcanique proche du régolite lunaire. Ces essais ont permis de fabriquer des échantillons de murs qui, selon l’Esa, feraient des bases tout à fait acceptables : selon ses calculs, des murs imprimés de 1 à 2 mètres d’épaisseur permettraient de protéger les colons des rayonnements cosmiques émis par les étoiles, nocifs pour la santé, et même des chutes de petites météorites.

Une réponse à la crise du logement ?

Dans un contexte de population mondiale en hausse, l’impression 3D pourrait contribuer à résoudre la crise du logement qui menace la planète.

Selon ses promoteurs, l’impression 3D fait partie des solutions les plus prometteuses pour faire face à la future crise du logement qui menace la planète. Depuis plusieurs années, en effet, la démographie mondiale enregistre deux tendances majeures, à commencer par une croissance continue du nombre de Terriens : 7,7 milliards aujourd’hui, 9,7 milliards en 2050 et 11 milliards en 2100, selon les dernières estimations des Nations unies (Onu), soit une hausse de 42 % en l’espace de 80 ans. Cette augmentation s’accompagne d’une urbanisation constante : deux personnes sur trois habiteront dans des centres urbains d’ici 2050, toujours selon les dernières estimations de l’Onu. Soit 2,5 milliards de citadins de plus qu’aujourd’hui ! Ce qui se traduira par un besoin rapide de nouveaux logements, voire la création de villes nouvelles. Or l’impression 3D affiche un avantage de taille par rapport aux techniques de construction traditionnelles : l’économie en matériaux. En tirant le meilleur parti de la conception par ordinateur, elle permet en effet de limiter la quantité de béton utilisée au strict nécessaire, en concevant par exemple des murs non pas pleins, mais dotés de structures creuses en nids d’abeilles dont la résistance est adaptée au plus juste aux besoins finaux. À la clé : d’importants gains en béton, qui génèrent à leur tour un cercle vertueux en réduisant les besoins en production et en transport de matériaux, en temps de construction, en émissions polluantes, en déchets de chantier à évacuer… Le tout conduisant à de substantielles économies financières.

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© New Story

L’innovation au service des plus démunis

L’impression 3D est une technique « high-tech » qui s’avère aussi « low-cost ». D’où l’idée de l’utiliser pour construire des logements aux personnes défavorisées. Fin 2019, l’association caritative californienne New Story a ainsi entamé la construction d’une cinquantaine de logements de 45 min 2 s destinés à des personnes vivant au Mexique dans des conditions d’extrême pauvreté (photo). Et ce, en moins de 24 heures (construction des murs) et pour un coût de 4 000 dollars (3 500 euros). L’association, qui avait déjà édifié des logements de secours à l’aide de techniques conventionnelles en Haïti, en Bolivie ou au Salvador, estime que l’impression 3D lui permettra d’aider plus de familles, plus rapidement, tout en adaptant la configuration des logements aux besoins de chaque foyer.

Des habitations mais aussi des ponts

Avec ses 40 mètres de long, la passerelle qui devrait enjamber le canal Saint-Denis en 2024 est annoncée comme le plus long pont imprimé en 3D au monde, devançant un ouvrage chinois de 26 mètres. Dédiée à une circulation douce (piétons et vélos), elle devrait faciliter l’accès aux futurs sites des jeux olympiques. Pour la première fois l’emploi d’un béton imprimé structurel, couplé à la post-contrainte exercée par des câbles en acier, permettra d’atteindre une longueur de 40 mètres. Cet ouvrage se caractérisera aussi par une empreinte carbone beaucoup plus faible que celle d’un ouvrage classique et une réduction de 60 % de la quantité de matières premières. D’un coût global de plus 5 millions d’euros, les travaux sur site devraient débuter au début de l’année 2023 pour une livraison de la passerelle en février 2024.

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© Lavigne & Cheron Architectes

Encore de nombreux défis à relever

Malgré ses avantages, l’impression 3D nécessite encore des améliorations avant de concurrencer les techniques traditionnelles.

L’impression 3D de maisons présente encore des limites dont la première, mais non la moindre, est la reproductibilité. La régularité du cordon de béton déposé reste en effet difficile à garantir tout au long du processus. La rapidité du durcissement pose également problème : la couche de béton n’a parfois pas le temps de durcir assez pour supporter le poids de la couche suivante. C’est encore plus vrai pour les constructions de petites surfaces, pour lesquelles le délai entre le dépôt de deux couches de béton est réduit, puisque l’imprimante en fait le tour plus rapidement. Le cas des logements de plusieurs étages soulève également des défis techniques, puisque le poids des couches successives induit une forte pression sur les couches inférieures. Habituellement, la résistance maximale du béton est atteinte après environ 28 jours. L’utilisation d’accélérateurs de prise et de durcissement permet de réduire ce temps de séchage à quelques jours : pas encore assez pour envisager des constructions rapides de très grande hauteur. Enfin, le béton est parfois doté d’armatures métalliques améliorant sa résistance : on parle alors de béton « armé ». Dans le cas du béton imprimé, des recherches visent à utiliser des fibres métalliques, intégrées au béton avant extrusion, pour jouer ce rôle. Mais une faiblesse structurelle persiste alors au niveau du joint entre les couches imprimées : des recherches visent à trouver des solutions pour renforcer la solidité de ce maillage. Ce qui permettrait d’envisager le respect des normes les plus exigeantes en matière de sécurité, comme la résistance aux séismes. Et donc d’imprimer n’importe quel type de bâtiment.

L’impression 3D face à un vide réglementaire

La réponse de Kais Mehiri, responsable Process & Industrie du Futur, au Centre d’études
et de recherches de l’industrie du béton (Cerib).