Quand la mer monte…
Inexorablement, le niveau des mers monte. Avec ses 5500 kilomètres de côtes, la France ne sera pas épargnée par les conséquences du réchauffement climatique. Dans les zones les plus vulnérables, submersions marines, érosion des côtes sableuses ou intrusion d’eau salée dans les nappes phréatiques sont à craindre. Faudra-t-il surélever les digues ou s’adapter en concédant certaines zones basses à la mer ?
Geneviève De Lacour - Publié le
En Basse-Normandie, la région estime qu’il faudrait investir 15 milliards d’euros pour protéger ses 470 kilomètres de littoral contre la montée du niveau des mers, et sauver ainsi les 10 000 bâtiments et 2 000 kilomètres de routes situés sous son niveau. Cette somme rondelette équivaut à une dette de 29 000 euros par habitant. Si depuis des siècles, les hommes essaient de gagner du terrain sur la mer en construisant digues et polders, la mer semble reprendre ses droits pour transformer les zones littorales les plus basses en zones à risque.
La Basse-Normandie a donc décidé de passer « d’une politique de protection contre la mer à celle d’une gestion durable du trait de côte », explique Jean-Karl Deschamps, premier vice-président de la région : un changement total de paradigme. « L’idée est de cohabiter avec cet élément, la population doit se préparer à négocier avec la mer », complète l’élu en charge de l’aménagement du territoire et du développement durable de la région.
Que disent les modèles ?
Les experts du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) ont développé quatre scénarios d’évolution du climat (RCP2.6 ; RCP4.5 ; RCP6 ; RCP8.5). Pour la montée des eaux, le scénario le plus pessimiste, c’est-à-dire RCP8.5, est le plus souvent évoqué, car c’est celui nécessitant le plus de protection. RCP8.5 est le scénario de la continuité : il correspond au prolongement des émissions actuelles de gaz à effet de serre (GES). Il prévoit ainsi une augmentation de 75 centimètres du niveau des mers d’ici à 2100 avec une incertitude de +/- 25 cm.
Deux facteurs influent sur la montée des eaux : d'une part, l’expansion thermique des océans sous l'effet du réchauffement causé par la hausse des températures des basses couches de l’atmosphère et d'autre part, l’augmentation du contenu en eau des océans, par l’apport d’eau douce consécutif à la fonte des glaciers de montagne et des calottes polaires (le Groenland et l’Antarctique). Depuis le rapport du Giec de 2007, les estimations ont été revues à la hausse. En effet, l’Antarctique et le Groenland perdent leurs glaces de manière accélérée depuis le début des années 2000. Le phénomène s’explique par « un réchauffement de l’océan périphérique qui fait fondre les plateformes de glace retenant les glaciers », précise Anny Cazenave, chercheuse au Laboratoire de géophysique et d’océanographie spatiale (Legos) à Toulouse et membre du Giec. Résultat, les glaciers groenlandais et antarctiques ont tendance à glisser rapidement vers la mer.
La mer ne monte pas de manière uniforme à la surface du globe. « Les disparités régionales se superposent à la moyenne globale, complète l’océanographe. Elles sont liées en grande partie aux disparités de température et de salinité des océans, en lien avec la fonte de la banquise et des glaces continentales et les variations du cycle hydrologique ». Par exemple, la salinité a tendance à décroître dans l’Arctique en raison de la fonte des glaces. L’eau douce étant plus légère que l’eau salée, elle fait monter le niveau des mers. Dans d’autres régions, c’est le facteur température qui joue un rôle primordial. Autre phénomène, toujours sous l’effet de la fonte des glaces et donc des redistributions des masses de glace et d’eau, la croûte terrestre – qui est élastique – se déforme, ce qui modifie légèrement le contour et la profondeur des bassins océaniques, donc le niveau de la mer à l’échelle régionale.
Depuis le début des années 1990, les données des satellites altimétriques permettent de suivre l’évolution du niveau de la mer en couvrant l’ensemble des océans. Plus de 95 % des régions océaniques connaîtront très probablement une hausse du niveau de la mer à la fin du XXIe siècle, mais quelque 70 % des littoraux du monde connaîtront un changement du niveau de la mer limité à 20 % au plus de l’élévation du niveau moyen global. En France métropolitaine, « la façade atlantique se situe dans cette moyenne globale. En revanche, sur le littoral de la mer du Nord, la montée des eaux devrait être plus rapide que la moyenne. En Méditerranée, en fonction des modèles utilisés, on prévoit une montée un peu plus lente », complète Anny Cazenave.
Le littoral français impacté
En France métropolitaine, « on observe une grande variabilité d’évolution du trait de côte qui n’est pas régionale, mais locale », explique Gonéri Le Cozannet, membre de l’unité des risques côtiers et du changement climatique au Bureau de Recherche géologique et minière (BRGM). 41 % des plages de sable sont en érosion, contre 70 % dans le monde. Les marais côtiers ont tendance à la stabilité, voire à l’élargissement. Si les falaises dures restent intactes, les falaises tendres ont tendance à reculer. Au niveau national, les sites en érosion, en accrétion et les zones basses ont été répertoriés. Pour la région Aquitaine, les scientifiques ont évalué le recul des côtes sableuses à un mètre par an, une précision permise par le travail exhaustif d'accumulation de données par l’Observatoire du littoral de la côte Aquitaine au fil des ans. Mais « les données quantifiées qui caractérisent l’évolution interannuelle manquent souvent. Très peu d’études ont été réalisées en Polynésie française, par exemple », regrette le scientifique du BRGM. Et la submersion marine reste la menace la plus élevée. « Quelques dizaines de centimètres d’eau en plus, couplées à une grosse tempête et la mer peut déferler sur les terres ». Le problème, c’est que les zones littorales sont devenues très attractives, ce qui expose davantage encore d'habitations et d'activités économiques aux risques de submersion temporaire.
« Avec la montée des eaux, les vagues verront leur hauteur et leur orientation modifiées. Localement cela peut également avoir des effets sur l’érosion, précise Gonéri Le Cozannet : comme la hauteur d’eau va augmenter, c’est comme si on avançait la structure de protection vers le large ». Depuis la fameuse tempête Xynthia, la question du redimensionnement des digues et des structures portuaires se pose. D’après les calculs, une élévation d'un mètre du niveau d’eau, comme prévue dans scénario le plus défavorable (RCP8.5) obligera à rehausser les digues de 2 à 3 mètres. Quant aux courants de marée, « ils seront affectés par la montée des eaux, mais on ne sait pas encore comment. Nous travaillons sur le sujet », explique l’expert qui estime que le transport sédimentaire devrait faiblir. À l’instar de la partie ouest de la Manche, « où les flux de sédiments pourraient être limités ».
Cette carte interactive, conçue par le Réseau d'observation du littoral normand et picard, permet d'obtenir différentes informations sur le trait de côte normand : son évolution depuis 1947, les zones d'érosion et de sédimentation, de submersions marines, etc.
Biseaux salés, un phénomène irréversible
Bien connu des hydrogéologues, le phénomène du coin salé (ou biseau salé) désigne une intrusion d’eau de mer plongeant sous la nappe d’eau douce du littoral. « Et en cas d’introduction d’eau salée dans la nappe phréatique, le phénomène est irréversible. La nappe est contaminée pour longtemps », souligne Olivier Douez, hydrogéologue au BRGM.
Quels aquifères sont-ils à risque ? La France compte 95 aquifères superficiels et 17 aquifères côtiers profonds. Mais « à l’heure actuelle, il n’existe aucun réseau de piézomètres pour suivre l’évolution d’éventuels biseaux salés. Pourtant, mesurer la salinité des eaux est facile », complète l’hydrogéologue. Un simple test de conductivité permet en effet de montrer la présence ou non de sels marins dans la nappe.
Les experts du BRGM pensent qu’avec les changements climatiques, c’est surtout l’augmentation des prélèvements d’eau dans les aquifères pour l'eau potable et l'agriculture qui aura un fort impact. « Or ce sont ces prélèvements qui vont influencer l’avancée du biseau salé », signale Olivier Douez.
Dans le rapport publié par l’Onerc, plusieurs scénarios d’intrusions marines sont envisagés. « Celui qui est le plus préjudiciable pour la ressource en eau correspond à un phénomène de rentrant salé couplé à un débit plus faible des rivières », explique Olivier Douez. Autre cas de figure, les captages d’eau potable situés dans les nappes d’accompagnement des rivières pourraient également être contaminés par l’entrée d’eau salée via les estuaires. Enfin, la submersion des parcelles en bord de mer peut provoquer l’infiltration de l’eau salée par le haut.
Prévenir plutôt que guérir
La région Basse-Normandie a donc décidé de prendre le taureau par les cornes, en lançant un appel à projets sur l’adaptation à long terme à la montée des eaux. Un sujet qui préoccupe, puisque 130 élus du littoral y ont répondu. Le conseil régional apportera un appui technique et financier aux acteurs locaux qui bâtiront des stratégies de gestion du littoral à long terme, c’est-à-dire à 20, 50 et 100 ans, « élaborées à l’échelle de la cellule hydrosédimentaire », précise Jean-Karl Deschamps, le premier vice-président de la région. Un plan d’action concret sera mis en place dans un délai de un à deux ans, comme c’est déjà le cas dans le pays coutançais. Certaines habitations et activités économiques devront être protégées en rehaussant les digues, ailleurs des élus devront se résoudre au repli stratégique. « Se préparer à la montée des eaux suppose de comparer le coût du mètre carré à préserver à celui du mètre supplémentaire de hauteur de digue à construire », complète l’élu régional. Avant de conclure : « Il va falloir accepter que la mer revienne dans certaines zones. L’indifférence serait pire que tout, car c’est alors la mer qui imposerait son “timing”. Il ne faut pas travailler dans l’urgence, mais prévoir ».