
Des champignons hallucinogènes contre la dépression
Dépression, addiction, anxiété de fin de vie... Les psychédéliques auraient des propriétés thérapeutiques étonnantes dans certains contextes, et sont de plus en plus étudiés. Interview de la psychiatre Lucie Berkovitch, pilote d’un essai clinique au Centre Hospitalier Sainte-Anne à Paris.
Réalisation : Mélissande Bry
Production : Universcience
Année de production : 2025
Accessibilité : sous-titres français
Des champignons hallucinogènes contre la dépression
Cela fait quelques années qu'on entend de plus en plus parler des thérapies assistées aux psychédéliques. Le LSD et la psilocybine, le principe actif des champignons hallucinogènes, auraient des propriétés thérapeutiques étonnantes, notamment pour des personnes atteintes de dépression, d'addiction ou d'anxiété de fin de vie. Les premiers essais cliniques avec ces molécules ont débuté en France cette année dans le but de trouver des alternatives aux traitements psychiatriques actuels.
« Des traitements hallucinogènes contre la dépression »
Au Centre Hospitalier Sainte-Anne, à Paris, la psychiatre Lucie Berkovitch pilote une de ces études. Son but : tester l'efficacité de la psilocybine chez des patients et patientes atteints de dépression.
- Ici, c'est la chambre d'administration, la chambre où on administre la psilocybine. C'est une chambre qui, comme vous pouvez le voir, ressemble pas trop à une chambre d'hôpital. L'idée, c'est de pouvoir recréer un environnement qui est plus agréable, moins austère, et dans lequel les gens se sentent bien, un peu comme chez eux. On a aussi les deux sièges pour les deux thérapeutes, puisqu'il y a deux psychothérapeutes qui sont présents tout au long de la journée d'administration. Ce sont les thérapeutes qui ont aussi préparé le patient et qui vont faire tout le travail d'intégration après. On reçoit un traitement de la part de la pharmacie. On ne sait pas quelle va être la dose de psilocybine. Donc on a une petite boîte dans laquelle il y a une gélule. C'est une gélule que va prendre le patient. On note bien l'heure de démarrage. Les effets commencent à apparaître en général au bout d'une heure environ. On a d'abord une phase de montée, ensuite une phase de plateau, puis une phase de redescente. La durée totale est de 4 à 6 heures. Ça dépend un peu des gens. Pendant toute la durée de l'administration, c'est plutôt un travail introspectif. L'objectif, c'est que la personne soit centrée sur elle-même, qu'elle puisse se laisser aller à ses émotions, et, si elle a besoin de solliciter les thérapeutes, qu'ils puissent être là, mais ils ont plutôt, on va dire, une présence bienveillante, Ils sont plus disponibles que proactifs. On va pas faire de la psychothérapie intensive où on va demander aux gens de parler pendant six heures d'affilée, ce qui serait absolument épuisant, sachant que c'est déjà assez fatigant d'avoir les effets de la psilocybine pendant tout ce temps-là. Le terme "psychédéliques" définit un groupe de molécules bien précis. On y compte la psilocybine des champignons hallucinogènes, donc, l'acide lysergique diéthylamide, plus connu sous le nom de "LSD", mais aussi la diméthyltryptamine, qu'on trouve dans l'ayahuasca, ou encore la mescaline, extraite du cactus peyotl. Ces substances provoquent une déformation de la perception visuelle et sensorielle et impactent fortement les émotions. Très étudiées en psychiatrie dans les années 1950 et 1960, leur interdiction en 1971 marque la fin des recherches sur le potentiel thérapeutique des psychédéliques. Mais depuis une dizaine d'années, ces molécules font leur grand retour dans les laboratoires et des essais cliniques voient le jour. C'est le cas de l'étude COMP006, lancée au cours de l'été 2024.
Une étude pionnière COMP006
- C'est une étude qui cherche à évaluer l'efficacité de la psilocybine dans la dépression résistante. On a pu peu à peu obtenir les autorisations pour pouvoir lancer cette étude, à l'ouverture de notre centre au mois de juillet. C'est une étude de phase 3, c'est-à-dire que c'est la dernière étape avant de pouvoir demander la commercialisation du médicament. La psilocybine est effectivement une substance classée stupéfiant en France. Donc c'est interdit de la fabriquer, de la consommer, de la vendre, sauf dans le cadre expérimental. Là, ce qui permet d'utiliser la psilocybine, c'est de dire que c'est un médicament expérimental. Il faut apporter un certain nombre de preuves que, jusqu'à présent, il y a un profil de sécurité et d'efficacité qui permet de tester ce médicament, avec des étapes qui se font petit à petit : d'abord chez l'animal, puis chez quelques volontaires sains, et puis progressivement, chez des patients qui présentent des pathologies psychiatriques.
Psychédéliques, quels risques ?
- Historiquement, il y a eu beaucoup de craintes et beaucoup de mythes, je crois aussi, sur le danger que représentaient les psychédéliques pour la santé mentale. Aujourd'hui, on a pas mal de recul sur l'usage récréatif. On a aussi pas mal de recul sur l'usage médical. Et si je dois me concentrer sur l'usage médical, qui est celui que nous, on a ici, aujourd'hui, il y a pas eu d'effets secondaires graves. Et notamment, pour répondre aux craintes qu'ont les gens, il y a pas de gens qui deviennent addicts aux psychédéliques et qui se mettent à en consommer de manière compulsive. C'est d'ailleurs pas tellement le cas dans les usages récréatifs. Il y a pas eu de personnes qui ont décompensé des troubles psychiatriques sévères, graves et persistants. En médecine, on réfléchit toujours sur ce qu'on appelle la balance bénéfice/risque. On cherche bien sûr à avoir des bénéfices et des effets positifs chez les patients, mais c'est à mettre en balance aux effets secondaires qui vont être observés. Là, on est dans des traitements qui, a priori, n'entraînent pas beaucoup d'effets secondaires. Un peu d'inconfort digestif par exemple au moment de la prise, mais qui est plutôt bien supporté. Mais c'est une question assez ouverte à laquelle il va falloir répondre, et c'est l'un des objectifs de l'étude. Il y a toujours une forme de paradoxe quand on parle des substances et qu'on leur donne une place dans l'arsenal thérapeutique. Effectivement, quand on va décrire les bénéfices qu'on peut attendre de ces substances, il y a des personnes qui vont se dire : "Je vais prendre ça, et ça va m'aider pour ma dépression, mon anxiété." Surtout si elles n'ont pas pu participer aux études. Donc en fait, le gros problème, c'est que c'est souvent les personnes qui ont des critères d'exclusion qui vont peut-être se tourner vers une forme d'automédication, sans respecter les règles de sécurité qui limitent les risques associés à ces substances. Maintenant, je trouve que c'est aussi l'occasion de pouvoir parler des risques, justement, et de la "réduction des risques", c'est-à-dire informer les usagers ou les personnes qui auraient été peut-être intéressées ou confrontées à ça dans un cadre récréatif. Qu'elles sachent de quoi il s'agit, qu'elles aient une idée des risques, des contre-indications, des profils qui ont plutôt intérêt à éviter de prendre ces substances, par exemple, ceux qui ont des antécédents psychiatriques de symptômes psychotiques, de pathologies bipolaires non traitées. Des choses qui, on le sait maintenant, sont quand même des facteurs de risque de décompensation.
Un traitement unique
- La singularité des psychédéliques dans le soin psychiatrique, c'est non seulement cette espèce de tandem avec la psychothérapie, et se dire que c'est indissociable, c'est un point important. Et l'autre aspect, c'est la temporalité des effets. C'est-à-dire que contrairement aux traitements qu'on utilise habituellement, qui mettent plusieurs semaines à agir, qu'on doit prendre tous les jours, là on est dans quelque chose où on va donner un traitement une fois, avec de la psychothérapie - une séance qui va être assez intense - et puis, on voit ce qui se passe après, mais sans avoir besoin de prendre le médicament tous les jours, mais plutôt pour essayer de changer d'un coup quelque chose chez le patient. Et les résultats concordent assez bien. On observe une amélioration immédiate. Et on a des effets qui durent. On avait découvert il y a quelques années des médicaments dont les effets arrivent rapidement mais ne persistent pas. Alors que pour les psychédéliques, semble-t-il, ils durent plusieurs semaines à plusieurs mois, voire plusieurs années pour certains patients. Actuellement, en France, la psilocybine est le seul psychédélique qui a commencé à être testé. La première étude a été faite à Nîmes. Elle a démarré au mois de février. Cette étude essaie de voir si la psilocybine peut aider des personnes qui ont un problème d'alcool associé à un problème de dépression. Donc c'est une problématique différente de celle sur laquelle nous travaillons. Notre étude, c'est donc en fait la deuxième étude en France sur la psilocybine. Il y a pas mal d'autres projets qui sont en cours de développement et qui impliquent notamment le LSD, qui a comme particularité d'être un psychédélique dont l'action dure beaucoup plus longtemps. Donc c'est pas très simple en pratique. Ça dure à peu près une dizaine d'heures, les effets du LSD. Mais il y a des projets qui vont certainement démarrer là, dans les années à venir, avec du LSD pour traiter des troubles psychiatriques.
Vers une thérapie universelle ?
- C’est vrai qu'il y a une forte demande, une demande qui est sous-tendue aussi par un effet de médiatisation, où les gens ont beaucoup d'attentes. On présente ça comme une forme de révolution en psychiatrie, ce qui est potentiellement vrai. Mais on est encore dans une phase exploratoire, donc en tout cas aujourd'hui, on ne peut pas encore l'affirmer. La demande est forte aussi parce qu'il y a beaucoup de gens qui ont des troubles psychiatriques. La dépression, c'est 1 personne sur 5, vie entière, qui va en avoir une qui nécessite d'avoir recours à des soins médicaux. Il y a beaucoup de personnes qui présentent de la dépression et les psychédéliques agissent aussi sur d'autres pathologies que la dépression. Les addictions, notamment à l'alcool, l'anxiété... Beaucoup de personnes pourraient être concernées et bénéficier potentiellement de ce traitement, et qui donc ont une demande. Ce qui va rendre difficile, je dirais, la démocratisation de ce soin, c'est qu'aujourd'hui, il y a besoin de beaucoup de personnel pour ce soin. Je ne parle même pas de l'étude qui demande encore plus de moyens parce qu'il faut faire plein de mesures chez les gens, les recevoir beaucoup, etc, pour pouvoir mesurer l'efficacité. Mais même une fois que l'efficacité sera établie, si elle l'est, il faudra quand même des thérapeutes disponibles pendant plusieurs heures, pendant le jour de la prise, mais qui sont aussi disponibles avant/après pour préparer les gens, les aider à intégrer ce qui s'est passé. Ça, ça demande du temps humain. Et aujourd'hui, c'est un énorme problème que l'on a à l'hôpital public parce qu'il y a beaucoup de postes vacants, on est en manque de personnel, et donc on est face à un dilemme : finalement, est-ce qu'on veut traiter quelques personnes avec beaucoup de moyens humains, mais qui ne seront donc pas disponibles pour d'autres ? Ou est-ce qu'on veut traiter un plus grand nombre de personnes en répartissant les moyens humains ? Et je pense que ça va être des vraies questions éthiques qui vont se poser : comment on fait pour répartir les moyens humains pour répondre à ce besoin, dont on a vu qu'il était assez criant, mais qui demande des ressources extrêmement importantes qu'aujourd'hui on a pas.
Réalisation : Mélissande Bry
Production : Universcience
Année de production : 2025
Accessibilité : sous-titres français