Que les gauchers lèvent la patte !
Gaucher, droitier... la question de la prédominance d’un côté chez les non primates est très débattue. Une nouvelle étude tend à démontrer qu’il existe bien une latéralisation chez les kangourous.
Sarah Balfagon - Publié le
Être droitier ou gaucher n’est pas qu’une affaire humaine. Les kangourous, eux aussi, auraient leur côté préféré. C’est en tout cas ce que montrent trois zoologues de l’université d’État de Saint-Petersbourg et une géologue de l’École du territoire et de l’alimentation de l’université de Tasmanie à travers une étude publiée mi-juin dans la revue Current Biology.
L’équipe russo-australienne s’est intéressée à sept espèces de marsupiaux – des kangourous, mais aussi des phalangers et des opossums – qu’elle a observées dans leurs activités naturelles. Résultat : pour faire leur toilette ou pour attraper leur nourriture, les kangourous privilégient clairement une patte plutôt qu’une autre. Et contrairement aux êtres humains, ils sont plutôt gauchers. Les kangourous roux, notamment, sont plus de 60 % à utiliser quasi systématiquement leur patte gauche pour réaliser certaines tâches.
Chez les autres espèces, comme les phalangers ou les opossums, la latéralisation n’est pas marquée. Malgré tout, ces animaux utilisent préférentiellement une patte pour des tâches requérant de la force, et l’autre pour celles nécessitant de la précision.
Ce qui différencie principalement les marsupiaux ayant une forte latéralisation et ceux n’en ayant pas ou peu, c’est leur mode de déplacement : les espèces bipèdes sont latéralisées, les quadrupèdes non. L’étude des arbres phylogénétiques (relations de parenté entre les espèces) laisse penser que l’existence ou non d’un côté dominant ne suit pas le schéma de l’évolution. Elle serait plutôt due à une adaptation de l’espèce à son environnement. Ce qui renforce l’idée que le développement d’une préférence pour la droite ou la gauche est lié à des caractéristiques posturales, comme le fait de se tenir sur ses pattes arrière pour atteindre de la nourriture dans les branches basses.
Cerveau multitâche
Loin d’être l’exclusivité de l’homme, du singe ou du kangourou, la latéralisation est en réalité un phénomène fréquent dans le règne animal, mais qui ne concerne pas seulement l’utilisation d’un membre privilégié : il peut s’agir de l’œil dominant, de la direction utilisée lors de la fuite… L’hypothèse, pour expliquer ces phénomènes, est que la spécialisation d’un hémisphère cérébral permettrait d’éviter les doubles messages ambigus, ce qui faciliterait la réalisation de deux tâches simultanées.
Une étude sur des poussins montre ainsi qu’ils ont naturellement tendance à explorer le côté droit de leur champ de vision pour se nourrir, alors qu’ils sont plus performants pour détecter les prédateurs du côté gauche. Cela viendrait de la position de l’embryon dans l’œuf juste avant l’éclosion. La tête étant cachée sous l'aile droite, l’œil de ce même côté serait exposé à davantage de lumière que le gauche (car l’aile est translucide, contrairement au corps du poussin contre lequel l’œil gauche est plaqué), ce qui aboutirait à une « spécialisation » de l’hémisphère gauche dans la recherche de nourriture, et de l’hémisphère droit dans les comportements de fuite ou d’attaque.
D’autres publications révèlent une association entre la latéralisation et l’habileté. Dans ce domaine, les perroquets font partie des animaux les plus latéralisés : une étude réalisée sur plusieurs espèces de perroquets australiens a montré jusqu’à 90 % de dominance pour l’œil gauche (Cacatoès à huppe jaune) et 100 % pour la patte gauche (Cacatoès à tête rouge). Plus l’espèce est latéralisée, et mieux elle réussit à réaliser certaines tâches précises comme distinguer les graines des cailloux. Le taux de réussite est en moyenne de 55 % chez les individus non latéralisés, alors que les individus latéralisés atteignent 95 %.
Certains scientifiques se sont demandés quel pouvait bien être l’avantage sélectif d’avoir un côté dominant, puisqu’un animal prévisible est plus susceptible d’être la proie d’un autre. La réponse proposée dans une revue de la littérature il y a quelques années est que les animaux vivant le plus en communauté tendent à adopter une latéralisation au niveau de l’espèce, de manière à coordonner leurs comportements. Ainsi, les chauves-souris qui volent souvent en bandes en faisant des cercles ou des spirales risqueraient des carambolages si elles ne tournaient pas toutes dans le même sens…