17 ans avant Edison : le premier enregistrement sonore
Grâce aux techniques modernes, des chercheurs américains ont réussi à faire renaitre un enregistrement sonore datant de 1860, soit 17 ans avant l'invention du phonographe par Thomas Edison. L'auteur de cet enregistrement est français. Mais à l'époque, celui-ci ne pensait pas qu'il était possible de réécouter ses enregistrements.
Olivier Boulanger - Publié le
« Au clair de la lune... »
Le plus vieil enregistrement sonore ! Réalisé en 1860 par Edouard-Léon Scott de Martinville, cet enregistrement sonore a été réalisé grâce à un phonautographe (en vignette). 148 ans plus tard, l'informatique permet enfin de l'écouter. © First Sounds
L'enregistrement n'est certes pas de toute première qualité : la voix est chevrotante, le bruit de fond envahissant… Cet extrait sonore de dix secondes rendu public par la fondation First Sounds n'en demeure pas moins unique. Réalisé le 9 avril 1860 – soit 17 ans avant l'invention du phonographe par Thomas Edison – il constitue le plus vieil enregistrement sonore connu à ce jour !
Son auteur ? Un typographe français, Edouard-Léon Scott de Martinville, dont l'invention n'avait jusqu'à présent pas laissé une trace immortelle dans l'histoire des techniques. Et pour cause, si son « phonautographe » était bien capable d'inscrire une vibration sonore sur du papier noirci, aucune technique ne permettait alors de rejouer ses enregistrements. 148 ans plus tard, grâce aux technologies modernes et au travail de quelques passionnés, cet extrait sonore peut enfin renaître.
Des archives sonores retrouvées à Paris
L'histoire de cette découverte commence durant l'été 2007, aux Etats-Unis, lorsque des historiens, des scientifiques et des ingénieurs décident de fonder l'association First Sounds (« premiers sons ») dont l'objectif est de rechercher, de restaurer et de rendre publics les plus vieux enregistrements sonores de l'humanité.
C'est ainsi qu'en décembre dernier, Patrick Feaster et David Giovannoni – deux des principaux membres de l'Association – ont pu découvrir à l'Institut national de la propriété industrielle de Paris deux enregistrements, ou plus exactement deux « phonautogrammes », accompagnant des brevets qu'Edouard-Léon Scott de Martinville avait déposés en 1857 et 1859. Des recherches plus poussées menées en février 2008 ont également permis de mettre la main sur une douzaine d'enregistrements remis par Scott à l'Académie des sciences de Paris. Ces derniers regroupent les premières expérimentations menées par l'inventeur en 1853 et 1854 – pour l'instant inexploitables – ainsi que des enregistrements plus aboutis datant de 1860 comme celui qui vient d'être rendu public.
Du papier à la reconstitution informatique
Restait à obtenir un son de ces inscriptions… Au laboratoire national de Berkeley, Earl Cornell et Carl Haber – deux scientifiques spécialisés dans la reconstitution d'archives sonores à partir de matériaux fragiles comme des rouleaux d'étain ou de cire dans le cas du phonographe d'Edison –, ont mis au point une technique permettant de récupérer les données sonores sans toucher au support. Le principe général consiste à reproduire la gravure initiale grâce à des images numériques réalisées à très haute résolution. Un traitement informatique permet ensuite de rejouer ces archives sonores.
Dans le cas du phonautographe, le travail varie quelque peu puisque cet appareil ne grave pas le son dans un matériau mais dessine la forme de l'onde sonore sur un rouleau de papier. Le travail des chercheurs a donc d'abord consisté à scanner à très haute résolution (2400 pixels par pouce) les fameux « phonautogrammes » afin de pouvoir les traiter numériquement. Les différentes lignes visibles sur le papier ont alors été réassemblées pour ne former qu'une seule onde sonore. Une onde qu'il a ensuite fallu traiter de manière poussée afin d'isoler la voix du bruit de fond, ou encore de compenser les variations de vitesse du rouleau (qui était alors actionné à la main). C'est ainsi que 148 ans après son enregistrement, un son a pu ressurgir du passé. « C'est comme un fantôme qui vient chanter devant vous », s'est exclamé David Giovannoni lors de la première audition.
Que reste-t-il à Thomas Edison ?
La redécouverte des travaux de Scott ne bouleversera certainement pas l'histoire des technologies. « À mon avis, cela n'enlève rien à Thomas Edison, estime d'ailleurs David Giovannoni. Thomas Edison est connu généralement comme la première personne à avoir enregistré un son. Mais la vérité est qu'il est la première personne à l'avoir enregistré ET réécouté. » Dans la seconde moitié du XIXe siècle, plusieurs personnes – comme le Britannique Alexander Graham Bell, inventeur du téléphone, ou le Français Charles Cros – travaillaient comme Scott à essayer d'écrire la représentation visuelle du son. Mais Edison demeure bien le premier à avoir reproduit l'un des ses enregistrements.