Après Columbia : quel avenir pour l'ISS ?
Depuis le dramatique accident de la navette Columbia, le travail s'est considérablement ralenti sur la Station spatiale internationale (ISS). Seuls deux cosmonautes y vivent en permanence et le temps consacré à la science est réduit à la portion congrue. Un nouveau coup dur pour un équipement spatial déjà décrié.
de Brem - Publié le
Fortes turbulences
Est-ce un épisode de forte tempête que traverse la Station spatiale internationale (ISS) ou, au contraire, passe-t-elle par une période anticyclonique de calme plat ? Peut-être les deux à la fois, selon l’angle avec lequel on regarde les événements récents.
La tempête a commencé à souffler depuis Cap Canaveral, en Floride, le 1er février 2003. C’est là que la navette Columbia, revenant d’une mission sur la Station, devait atterrir. À la suite d’un échauffement anormal de son aile gauche, elle s’est désintégrée en vol avec, à son bord, sept membres d’équipage.
Aussitôt, sur Terre, les questions se sont posées en bourrasques concernant l’avenir de la Station : en l’absence de navette, comment continuer à desservir l’ISS ? Qui financera les retards de construction de ce “grand Meccano spatial” ?
Une construction inachevée
Au moment de l’accident de la navette Columbia, le 1er février 2003, 17 vols étaient encore nécessaires pour apporter de nouveaux modules et compléter la Station. La navette, conçue pour les transporter, ne devrait pas pouvoir reprendre l’air avant avril 2004. Restaient principalement à mettre sur orbite :
- le module scientifique européen Columbus,
- le module scientifique japonais Kibo,
- une plate-forme japonaise d’expérimentation exposée au vide spatial,
- un module américano-japonais contenant une centrifugeuse permettant de produire une faible gravité ;
- de grands panneaux solaires, ainsi que les structures métalliques qui doivent les porter.
Fin de banquet pour l’ISS
Quelles sont les conséquences de l’interruption des vols de navette pour l’ISS ? Jean-François Clervoy, spationaute de l’Agence spatiale européenne... © CSI / Science Actualités
Dans l’espace, à bord de la Station spatiale internationale, c’est plutôt une torpeur de fin de banquet qui règne actuellement, un calme désolant. Faute de navette, il a fallu s’adapter : seuls deux hommes, l’Américain Edward Lu et le Russe Youri Malenchenko, se trouvent à bord pour une période de six mois à partir du 28 avril 2003, alors que, depuis le début de l’exploitation de l’ISS en 2000, les équipages permanents ont toujours compris trois personnes.
“L’assemblage de la Station est interrompu à un moment où elle a atteint 150 tonnes, le tiers de son poids final”, constate Jean-François Clervoy, spationaute qui a volé trois fois sur la navette américaine.
Cette ISS n’est-elle pas un projet trop complexe à mener ? J.-F. Clervoy, spationaute... Jean-François Clervoy est spationaute de l’Agence spatiale européenne. © CSI / Science Actualités
Du point de vue scientifique, le rendement actuel de l’ISS est quasi nul. Les deux cosmonautes sont absorbés par les travaux de maintenance à effectuer sur les systèmes de guidage, de communication, les appareils de conditionnement de l’air ou de contrôle thermique, etc.
“Afin de libérer un peu de temps pour le travail scientifique, les cosmonautes seront déchargés d’un certain nombre de tâches, que rempliront à distance les ingénieurs au sol, comme le contrôle de l’attitude [position, NDLR] de la Station”, indique Jean-François Clervoy. Au final, chaque semaine, douze petites heures devraient être libérées pour réaliser des études scientifiques.
La mission des stations spatiales
Dans les années 90, les agences spatiales comme la Nasa promettaient la découverte prochaine de nouveaux médicaments et de fabuleux matériaux aux caractéristiques inconnues grâce à l’impesanteur qui règne à bord des stations spatiales. Il a fallu vite déchanter. De telles découvertes auraient-elles eu lieu que la production de ces substances et matériaux dans l’espace aurait été impossible : bien trop chère à réaliser.
Il ne faut pas attendre des stations spatiales comme l’International Space Station (ISS) ou Mir des retombées pratiques immédiates et visibles. Elles sont des plates-formes d’études qui, grâce à leur situation exceptionnelle au-dessus de la Terre, permettent, par exemple, d’en étudier l’environnement, d’en sonder les océans, d’en réaliser des cartes ultra-précises pour mieux en comprendre le fonctionnement.
Comme ces stations se trouvent au-delà de l’atmosphère terrestre, à 400 km d’altitude, il n’y a entre elles et les étoiles aucun filtre naturel : l’observation astronomique y est grandement facilitée. Les stations jouissent également de conditions physiques très particulières puisque les objets n’y pèsent rien : grâce à de nombreuses expériences (mécanique des fluides, comportements physiques de flammes…), les chercheurs explorent cette situation d’impesanteur. Autre intérêt des stations orbitales : elles préparent l’homme à de nouveaux voyages dans l’espace par la complexité de leur mise en œuvre, par ce qu’elles nous apprennent du comportement et de la santé des astronautes dans l’espace.
Enfin, la Station spatiale internationale a ceci de particulier que seize pays y participent (onze pays d’Europe*, les Etats-Unis, la Russie, le Japon, le Canada et le Brésil). Il s’agit de la collaboration la plus importante jamais réalisée à l’échelle internationale en temps de paix. À cet égard, elle exerce un rôle essentiel dans le jeu diplomatique en devenant un symbole de paix entre les nations.
* Voir la liste dans le graphique
L'Europe s'adapte
“La Station spatiale est en excellent état à l’heure actuelle”, insiste Serge Plattard, directeur des relations internationales au Centre national d’études spatiales (Cnes). À son image, les responsables du spatial se veulent rassurants.
“ Ce n’est pas le chaos, souligne Jean-François Clervoy, la perte de Columbia n’a pas désorganisé les équipes. Il a simplement fallu s’adapter et prendre certaines mesures comme l’arrêt des vols de navette.”
Le programme européen de contribution à l’ISS, notamment, devra être modifié. Le laboratoire de recherche Columbus décollera probablement en 2005, avec un an de retard. Au contraire, le lancement de l’Automated Transfer Vehicle (ATV), un véhicule de transport de fret lancé par une Ariane 5 et capable de se diriger automatiquement vers l’ISS, pourrait être avancé.
“La Nasa a officiellement demandé à l’Agence spatiale européenne (Esa) si elle pouvait presser le pas, indique Jean-François Clervoy, également conseiller spécial pour le projet ATV. La mise sur orbite du premier exemplaire, prévue pour février 2004, sera avancée de deux mois si on met les bouchées doubles.”
La Russie se positionne
La suspension des vols américains est-elle une occasion pour les Russes de se mettre en avant ? G. Brachet, ex-DG du Cnes... © CSI / Science Actualités
Côté russe, les responsables de l’ISS ne manquent pas d’exprimer leur inquiétude : pourront-ils assurer seuls et sans financement supplémentaire la desserte de la Station avec leurs vaisseaux habités Soyouz et leurs transports de fret Progress ?
Pour certains experts, il semble clair que Moscou cherche à profiter de la situation pour obtenir de nouveaux subsides de la part de Washington.
L’avenir en question
La période d’incertitude dans laquelle la Station est entrée paraît d’autant plus regrettable qu’elle était en train de sortir d’un imbroglio qui menaçait son avenir. En 2001, la Nasa se rendait coupable d’un dépassement de budget de 5 milliards de dollars. Inacceptable pour George W. Bush qui décida de couper les crédits du Crew Rescue Vehicle (CRV).
Or, ce véhicule avait été conçu pour demeurer attaché à la Station et ramener quatre astronautes sur Terre en cas d’accident à bord de l’ISS. En cessant de financer ce projet, le président américain mettait en cause la possibilité pour sept hommes de demeurer à bord de façon permanente, comme cela avait été initialement prévu. Seuls trois membres d’équipage pourraient revenir sur Terre à bord de l’unique vaisseau Soyouz de secours attaché à la Station. Et donc y séjourner.
Les Etats-Unis pourraient-ils abandonner le projet de Station spatiale internationale ? Gérard Brachet... © CSI / Science Actualités
Mais en janvier 2003, Jörg Feüstl-Büechl, responsable de l’ISS au sein de l’Agence spatiale européenne, pouvait enfin annoncer qu’un accord avait été trouvé. La Station pourrait accueillir six hommes à partir de 2006, lorsqu’il y aurait un deuxième Soyouz de secours, puis sept, vers 2011, grâce un nouvel appareil américain de retour sur Terre, l’Orbital Space Plane (OSP).
Reste à savoir si ce scénario ne risque pas d’être à nouveau remis en cause : les Américains pourraient vouloir réaliser des économies et reporter la fabrication de l’OSP afin de compenser le surcoût dû à la perte de Columbia…