Après Ebola, la rougeole ?
Une flambée de rougeole pourrait bientôt prendre le relais de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest. C’est ce que montre une étude de santé publique américaine. Plus d’un million d’enfants pourraient être exposés à cette maladie infantile aussi contagieuse que dangereuse au Liberia, en Sierra Leone et en Guinée.
Véronique Marsollier - Publié le
Alors que l'épidémie d’Ebola vient de franchir le cap des 10 000 morts, une nouvelle alerte sanitaire secoue l’Afrique de l’Ouest. Une épidémie de rougeole de grande ampleur pourrait éclater dans le sillage d’Ebola au Liberia, en Sierra Leone et en Guinée. Elle pourrait provoquer autant de décès, sinon plus, qu’Ebola si rien n’est mis en place pour la contrecarrer. C’est ce que montre une étude réalisée par une équipe de chercheurs de l’école de santé publique Johns Hopkins, aux États-Unis, publiée dans la revue Science du 13 mars.
Un système de santé désorganisé
Dans ces trois pays, constatent les chercheurs, de nombreux centres de santé ont été fermés, la population ayant déserté les hôpitaux de peur de contracter Ebola. Cette désorganisation généralisée du système de santé empêche la population d’accéder aux soins de routine, alors qu'avant l’épidémie (2012-2013), il existait une bonne couverture vaccinale dans ces trois pays, même si elle restait insuffisante : 62 % à 79 % des enfants y étaient vaccinés contre la rougeole, selon le Demographic and Health Surveys (DHS).
Selon les chercheurs, cette désorganisation pourrait favoriser une recrudescence des maladies qui sévissent dans ces pays depuis longtemps, à commencer par la rougeole. Cette maladie infectieuse est très contagieuse – de cinq à dix fois plus que le virus Ebola ! – et elle entraîne une très importante mortalité infantile. En 2013, 145 700 décès par rougeole, soit près de 400 par jour, ont été enregistrés dans le monde par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). « Elle ressurgit souvent lors de crises humanitaires comme la famine en Éthiopie en 2000 », explique Jessica Metcalf, co-auteur de l’étude.
Cet inquiétant constat a amené des organismes internationaux pour la vaccination associés à l’OMS à réagir. La Fondation Bill & Melinda Gates (BMGF) s’est engagée « à soutenir une étude pour estimer les risques de flambée de rougeole par âge et selon une répartition géographique », explique Jessica Metcalf.
Pour mieux visualiser ces risques, Justin Lessler, professeur au département d’épidémiologie de l’école de santé publique Johns Hopkins, et ses collègues ont mis au point un modèle. Ils ont combiné plusieurs types de données, comme le nombre de vaccinations par pays et celui des naissances attendues, ce qui leur a permis de réaliser des cartes très précises de la situation et des risques d’infection région par région au cours du temps. Les chercheurs estiment ainsi qu'au terme de 18 mois d'épidémie d'Ebola et de désorganisation consécutive des systèmes de santé, 1 129 000 enfants de 9 mois à 5 ans, non vaccinés, seront vulnérables : une flambée de rougeole frapperait deux fois plus de personnes qu’avant Ebola.
Données fiables ?
Selon Jessica Metcalf, la cote d’alerte est donc désormais atteinte. « Le nombre de personnes infectées pourrait s’élever à 227 000 contre 127 000 avant Ebola, et causer le décès de 2 000 à 16 000 enfants supplémentaires », s’inquiète-t-elle. Dans le scénario le plus pessimiste, l’épidémie de rougeole pourrait surpasser celle d’Ebola de près de 10 000 morts.
Pour mettre au point ce modèle, les données ont été récoltées à partir de plusieurs sources. Elles proviennent d’enquêtes du Demographic and Health Survey (DHS) conduites sur le terrain tous les cinq ans. Ces données associées à celles de l’OMS ont aussi été croisées avec celles du site Worldpop pour obtenir une cartographie des naissances.
Néanmoins, pour Gilles Pison, démographe à l’Institut national d'études démographiques (Ined) et spécialiste de l’Afrique, les données sont souvent lacunaires dans les pays africains. « C’est un flou statistique et, paradoxalement, dans ces pays, nous sommes bien mieux informés sur le nombre des décès par Ebola que celui dû à la rougeole ou à d’autres maladies, précise-t-il. Malgré tout, on pourrait bien assister à un retour d’épidémie assez spectaculaire ».
Poliomyélite, rubéole, tuberculose...
L’épidémie d’Ebola n'accroît pas seulement les risques d'une épidémie de rougeole. Elle a désorganisé toutes les campagnes de vaccination : poliomyélite, rubéole, tuberculose, coqueluche, méningite, pneumonie, tétanos, hépatite B et diphtérie. Les chercheurs estiment de 600 000 à 700 000 le nombre d'enfants privés de vaccins dans les trois pays. Sans compter tous les malades atteints de paludisme, de VIH ou de tuberculose qui ne peuvent plus recevoir leurs médicaments. « L’épidémie d’Ebola a érodé le contrôle de ces maladies mis en place dans ces pays depuis plusieurs décennies », regrette Justin Lessler, directeur de l’étude. « C’est d’autant plus dommage qu’un vaccin efficace et peu onéreux existe sur le marché, il faudrait juste redémarrer les campagnes de vaccination », ajoute Jessica Metcalf.
De son côté, Gilles Pison invite à « profiter de la mobilisation internationale autour de l’épidémie d’Ebola pour revacciner tout le monde. De ce fait, à moyen terme, on pourrait espérer pour toutes ces populations une meilleure couverture santé que celle qui existait auparavant ».