Un site hors du commun

Emmanuel Laroze, directeur du CFEETK, nous révèle la véritable fonction de Karnak. © CSI 2008

La ville de Louxor offre le plus vaste champ de monuments en ruines de l'Egypte ancienne. Il est constitué de plusieurs temples dont Karnak forme l'ensemble principal, celui qui contient le sanctuaire dédié au dieu Amon. Depuis la redécouverte de ce lieu en 1868 par l'archéologue Auguste Mariette, la présence des Français sur le site égyptien ne s'est jamais interrompue… L'arrivée sur ce site classé au patrimoine de l'humanité en 1979 est saisissante. Les portes du site, qui se dressent magistralement, sont visibles depuis le Nil, à une centaine de mètres de là.

Les différentes périodes de construction de Karnak

  • Moyen Empire : de 2015 à 1800 av .J.-C.
  • Nouvel Empire : de 1590 à 950 av. J.-C.
  • Période récente : 525 av. J.-C.
  • Les temples de la période ptolémaïque datent de 310-30 av. J.-C., juste avant l'époque romaine (de 30 av. J.-C. à 290 ap. J.-C.).
  • 290 ap. J.-C. : abandon définitif du temple et des cultes.

2000 ans d'histoire

La grande salle hypostyle de Karnak Cette salle hypostyle représente symboliquement une forêt de papyrus. © CNRS/CFEETK JF.Gout

Les temples de Karnak ont été construits de -2000 à -300 ans avant notre ère, ce qui explique les nombreux réemplois de pierre. « Certains murs ont été réutilisés. Ils ont été démontés pour constituer les fondations d'autres temples ou même pour construire d'autres murs », précise Emmanuel Laroze, directeur du CFEETK.

Avant d'arriver au sanctuaire, partie la plus ancienne située au cœur des temples – mais aujourd'hui disparue – il faut traverser la cour des fêtes et l'imposante salle hypostyle qui fait du visiteur une fourmi au milieu d'une forêt de papyrus représentée par 134 colonnes hautes de 14 à 24 mètres…

Il faut ensuite traverser d'autres pylônes ( portails monumentaux placés à l'entrée des temples) et d'autres salles, chaque pharaon ayant œuvré, avec plus ou moins de moyens, pour la gloire du dieu Amon.

Sur les 25 hectares du site, seul un tiers est complètement dégagé. C'est pourquoi une mission permanente du CNRS est sur place, en lien avec les archéologues égyptiens. Ils fouillent ensemble afin de découvrir de nouveaux trésors et ils restaurent les temples pour un jour les ouvrir au public.

Restaurer pour accueillir

Vue générale du temple d'Opet Situé au sud-ouest du site de Karnak, le temple d'Opet est actuellement un chantier de fouilles pour les archéologues du CFEETK. © CNRS/CFEETK C.Apffel

Au sud-ouest du temple d'Amon, en dehors du parcours touristique classique de Karnak, le temple d'Opet, édifice encore mystérieux mais qui semble en lien avec la résurrection d'Osiris, s'élève sur une petite colline. Ici, des tailleurs de pierre renforcent la structure fragile qui menace de s'écrouler sur les restaurateurs de peinture. Ces derniers travaillent dans la fraicheur des deux sombres pièces Nord et Sud du temple.

La peinture étant ce qui résiste le moins au temps, préserver et redonner aux couleurs une teinte « propre » est primordial pour les études futures. Sans les travaux de restauration, les analyses épigraphiques (c'est-à-dire des inscriptions hiéroglyphiques) sont en effet impossibles.

Catherine Pill et Claire d'Izarny, restauratrices de peinture dans le temple d'Opet, nous expliquent en quoi consiste leur intervention. © CNRS/CFEETK Y.Stockel

Cela fait près de deux ans que le Centre franco-égyptien pour l'étude des temples de Karnak s'attache à comprendre l'architecture d'Opet. Il en restaure la structure, les peintures, il fouille le sol pour en sortir silex et autres os d'animaux (veaux, chèvres, chiens, porcs...) afin de préciser les origines et la fonction du temple. En l'état actuel, son édification daterait de la période ptolémaïque (vers -300 av. J.-C.), soit plus de 2000 ans après la pose des premières pierres du temple d'Amon. Mais un sondage réalisé jusqu'à la nappe phréatique a permis de distinguer une occupation antérieure du site, sur au moins cinq niveaux successifs. Ce qui démontre là encore un réemploi du lieu et des pierres.

Guillaume Charloux, archéologue au CNRS, nous raconte ses découvertes en fouillant autour du temple d'Opet. © CNRS/CFEETK C.Apffel

Le temple d'Opet est aujourd'hui fermé au public, mais le CFEETK espère pouvoir terminer les aménagements et l'ouvrir au public dès 2009.

Autre particularité du temple d'Opet, son financement. Celui-ci est entièrement privé et c'est une riche donatrice qui, après avoir eu un véritable « coup de foudre » pour ce petit temple, a décidé d'apporter les fonds permettant de financer la restauration pendant quelques années...

Reconstruire pour comprendre

Vue générale du chantier de fouilles d'Ermant © CNRS

D'autres sites près de Louxor n'ont pas forcément le même attrait touristique, malgré leur importance scientifique. Quittons la rive est du Nil pour nous rendre maintenant plus au sud, à Ermant. L'édifice construit dans cette ville forme avec trois autres temples (dont un à Karnak) un quadrilatère destiné à protéger la cité de Thèbes (ancien nom de Louxor) des malédictions diverses.

Le paysage qui s'offre au visiteur est tout autre que celui que l'on découvre à Karnak. Pour le coup, c'est un véritable champ de ruines avec un tas de sable géant laissé par les fouilles des Britanniques au début du siècle. Ici, la problématique des archéologues est quelque peu différente de celle du temple d'Opet : « L'optique n'est pas de restaurer le monument pour le rendre lisible au public, mais plus modestement de comprendre comment le site s'organisait », confie l'archéologue  Christophe Thiers.

Christophe Thiers, archéologue au CNRS, nous décrypte les particularités du temple d'Ermant. © CSI 2007

Les archéologues sont donc à la recherche des fondations du temple d'Emant. Et tentent de répondre à plusieurs questions clés : quelles histoires racontent les hiéroglyphes de ce temple ? Quel était le plan de l'édifice principal lors de son dernier état de construction ? Quelles techniques ont été utilisées pour élever un tel temple ?

Mais la tâche est complexe car ici peut-être plus qu'ailleurs en Egypte, le "réemploi" des pierres est devenu habituel et certains blocs ont été perdus. Le temple étant situé au cœur de la ville, il n'est pas rare que les pierres se retrouvent dans d'autres constructions, modernes celles-là…

À la recherche d’un axe de fouilles

La richesse historique  incroyable du sol égyptien n'est plus à démontrer. Anectode révélatrice : lors des aménagements de l'esplanade des temples de Karnak. Il a fallu démolir la maison historique de Georges Legrain, l'un des premiers directeur des travaux sur le site, symbole de la présence française sur ce chantier prestigieux. Résultat inattendu, les travaux entrepris par les équipes égyptiennes ont permis de dégager une digue antique protégeant Karnak des crues du Nil, ainsi que des bains ptolémaïques. Encore de nouvelles histoires à écrire !

La question pour les archéologues n'est donc pas tant de décider où creuser, mais de choisir les questions auxquelles les fouilles permettront de répondre. Les archéologues de Karnak sont encore là pour longtemps...