Une découverte exceptionnelle

« La Huaca del Oro constitue une découverte exceptionnelle, comme on n'en réalise qu'une fois dans une carrière d'archéologue !», s'exclame le chercheur péruvien Carlos Elera, co-directeur du Projet archéologique Sicán. Cet ambitieux programme de recherche tente, depuis 1983 dans la région de Lambayeque, au nord-ouest du Pérou, de percer les secrets de la fastueuse culture Sicán, développée autour de l'an mille sur un vaste territoire côtier de quatre cents kilomètres d'extension.

La dernière découverte en date, celle qui enthousiasme encore Carlos Elera, a pour cadre la magnifique forêt de caroubiers millénaires de Pómac, au nord de la ville péruvienne de Chiclayo.

La forêt de Pómac, au nord de la ville péruvienne de Chiclayo © Museo Nacional Sicán

Là, il y a environ mille ans, les seigneurs qui régnaient sur la cité de Sicán, également baptisée Lambayeque, ont fait ériger des pyramides funéraires en briques de terre, dont la hauteur pouvait atteindre quarante mètres, et la base plus de cent mètres. Ces monuments n'avaient qu'une seule fonction : servir de dernières demeures, à la manière des pharaons, aux dignitaires de la capitale.

Plan du complexe archéologique de Sicán Sur ce plan, la « Huaca del Oro », dite « Huaca Loro », est située sur la rive droite du « Río La Leche » à côté de la flèche indiquant le nord. © PROYECTO ARQUEOLÓGICO SICÁN

Les archéologues se doutent que le terre-plein situé au sommet de cet édifice de près de quarante mètres de hauteur leur réserve de bonnes surprises. Ils en ont déjà visualisé en partie le sous-sol, grâce à un système de radar à pénétration souterraine (GPR), qui envoie des micro-ondes vers la terre et qui capte celles réémises en retour par des masses compactes comme des os ou des objets en céramique ou en métal.

Or, au mois de juillet dernier, les archéologues de l'équipe internationale qui constitue le Projet archéologique Sicán, entament la fouille de l'une des plus importantes pyramides de la forêt de Pómac, au milieu de laquelle coule le « Río La leche », ou Rivière de lait. Il s'agit de la « Huaca del Oro », ou Pyramide de l'or, située au centre d'un complexe formé par six autres monuments funéraires.

Le résultat dépasse toutes leurs espérances

Fouilles au sommet de la « Huaca del Oro » L'équipe du Projet archéologique Sicán au travail… © PROYECTO ARQUEOLÓGICO SICÁN

En six mois de fouilles méticuleuses, conclues au mois de décembre 2006, les membres de la mission vont révéler tour à tour vingt chambres funéraires, dans lesquelles ils exhument vingt corps d'hommes, de femmes et d'enfants. Les tombes de ces dignitaires Sicán sont richement ornées, au point que leur inventaire prend vite des allures de véritable trésor. Plus d'un millier d'objets déposés en guise d'offrandes, et destinés à accompagner les défunts dans leur ultime voyage.

Parmi ces trésors, d'innombrables vases et pots en céramique, ainsi que des objets réalisés dans des alliages de métaux, des offrandes sous forme de membres ou de crânes d'animaux tels que le lama ou le puma, ou encore des masques et des poignards de cérémonie funéraires. Dans une seule des tombes découvertes dans la pyramide de l'Or, les archéologues exhument soixante-dix pots en céramique, aux motifs raffinés, représentant des figures humaines, divines et animales, ou encore des scènes de la vie quotidienne.

Qu'est-ce qui caractérise l'art Sicán-Lambayeque ? Paz Núñez-Regueiro, conservateur du patrimoine au musée du quai Branly, responsable des collections « Amériques » © CSI 2007

Dans une autre chambre funéraire, c'est une jeune femme de 20 à 25 ans qui a été découverte, en position assise, encore vêtue de brassières constituées de lames en alliage de cuivre et d'argent, et entourée d'offrandes somptueuses, sous forme de dix-sept céramiques, huit pattes de lama décorées de perles, et plus de cent crisoles, petites statuettes en terre cuite destinées à l'accompagner dans l'Au-delà. Autres découvertes importantes, un masque funéraire polychrome réalisé dans un alliage d'or, d'argent et de cuivre, et un « tumi », ou couteau de cérémonie métallique, le premier découvert dans son contexte d'origine.

Le faste de la civilisation Sicán

Céramiques exhumées de l'une des tombes de la « Huaca del Oro » © PROYECTO ARQUEOLÓGICO SICÁN

Pour Izumi Shimada, directeur du projet archéologique Sicán, basé à l'Université américaine de Southern Illinois, la découverte de la « Huaca del Oro » confirme le faste de la civilisation de Sicán, que ne cessent de mettre en évidence les recherches menées dans la forêt de Pómac depuis le début des années 1980.

Cette culture a perduré pendant six cents ans, entre 800 environ après J.-C., et l'an 1375, date de la chute des seigneurs de Sicán face aux envahisseurs venus du sud, les Chimus, puis les Incas. Les Sicán, en particulier lors de la période de « Sicán moyen », entre 900 et 1100, ont étendu leur domination politique et religieuse, ainsi que le contrôle des échanges commerciaux, sur un vaste territoire couvrant quatre cents kilomètres de côte au nord de l'actuel Pérou. Un commerce basé sur les échanges de coquillages et d'émeraudes.

Quant à l'art des orfèvres et des métallurgistes de Sicán, il se caractérise par son raffinement et l'omniprésence du « Dieu Sicán », du nom d'un héros légendaire baptisé Naymlap, représenté avec une coiffure semi-circulaire caractéristique, ainsi que des oreilles pointues et des yeux étirés… Les masques et les couteaux de cérémonie funéraires, ou « tumis », découverts lors de la dernière fouille, portent tous son image sculptée dans un alliage d'or, d'argent et de cuivre.

Un site funéraire vierge de toute profanation

Qu'en est-il du traffic illicite d'œuvres d'art précolombiennes ? Paz Núñez-Regueiro est conservateur du patrimoine au musée du quai Branly, responsable des collections « Amériques ». © CSI 2007

En réalité, la découverte de la « Huaca del Oro » représente un intérêt plus grand encore. Pour la première fois, les archéologues peuvent étudier un site funéraire de Sicán vierge de toute profanation, dans une région marquée par les fouilles intrusives, estimée à près de 100 000 au cours des trente dernières années !

Premier « tumi » découvert sur le site, encore entouré de sa gangue de terre Couteau cérémoniel funéraire, les « tumis » servaient aux prêtres lors des sacrifices d'animaux (pumas ou lamas). © PROYECTO ARQUEOLÓGICO SICÁN

En les analysant, les chercheurs tentent d'ores et déjà de mieux comprendre quelles relations, familiales ou sociales, unissaient les défunts entre eux. Mais également, quels rites et quelles pratiques funéraires maintenaient le lien entre les ancêtres décédés et ceux qui leur survivaient.

Ainsi, pour Izumi Shimada, « il existe vraisemblablement une relation de parenté, ou un lien social, entre les personnages occupant les tombes centrales, et ceux enterrés dans les tombes qui les entourent ». Des liens qui doivent encore être précisés par des analyses de l'ADN et de la dentition des squelettes. La découverte confirme également le rôle et le statut social important des femmes dans la culture de Sicán, indiquée par la richesse et la position centrale des tombes féminines sur la pyramide.

Le même « tumi » après nettoyage… © PROYECTO ARQUEOLÓGICO SICÁN

Enfin, les fouilles ont apporté une information capitale pour saisir l'importance des rites funéraires et leur permanence chez les Sicán. « Nous avons découvert que plus de vingt rites de crémation se sont déroulés au-dessus des deux tombes principales de la pyramide, explique Izumi Shimada. Les participants à ces cérémonies brûlaient des branches de caroubier, des fruits, mais aussi des objets en céramique, et des animaux. Nous avons ainsi retrouvé les restes d'un puma, qui a dû servir d'offrande. Or, sur la base de l'étude stylistique des céramiques retrouvées, nous avons pu établir que ces crémations ont perduré durant cinq siècles au-dessus des mêmes tombes ».

Une durée exceptionnelle pour des hommages rendus aux mêmes personnages, et qui confirme la complexité des rites en cours chez les Sicán… Des rites qui ne leur auront pas épargné le sort finalement réservé à toutes les civilisations précolombiennes. Affamés, autour de l'an 1050, par une sécheresse puis des inondations terribles, les habitants de Sicán se révoltent contre leurs seigneurs, marquant le point de départ d'un déclin qui se termine, en 1375, par la défaite face aux envahisseurs du royaume voisin de Chimor. Aujourd'hui, seules les pyramides et les trésors de la forêt de Pómac peuvent encore témoigner de la splendeur des seigneurs de Sicán.

Liens externes