Le voilier océanographique Tara quitte le port de Lorient le 28 mai 2016 pour un périple de plus de deux ans à travers l’océan Pacifique. À bord, plusieurs équipes de chercheurs se relayeront pour réaliser une étude approfondie des récifs coralliens, de leur biodiversité et de leur environnement. Quelque 40 000 échantillons de coraux seront notamment récoltés et analysés. Menacés d’extinction par le réchauffement des océans, ces écosystèmes marins riches et fragiles jouent un rôle majeur pour l’environnement, mais aussi pour l’économie de notre planète.

Mieux connaître le corail pour mieux le préserver

Malgré une superficie modeste, entre 0,08 et 0,16 % de la superficie des océans, les récifs coralliens abritent près de 30 % de la biodiversité marine. Directement ou indirectement, nombre d’espèces en dépendent, y compris les humains. « Le produit écosystémique du corail, c’est-à-dire toute la richesse qu’il génère notamment à travers ses apports pour la pêche ou la protection des côtes, s’élève à 30 milliards de dollars par an. 500 millions de personnes dans le monde vivent directement des apports du corail », précise Serges Planes, directeur scientifique de l’expédition Tara Pacific et directeur de recherche au CNRS.
Même si, comme il le souligne, « il ne faut pas sous-estimer la capacité de régénération des coraux », ils restent toutefois très sensibles aux variations de leur environnement, si infimes soient-elles. Outre l’acidification actuelle des océans qui nuit à certaines espèces coralliennes, les récifs craignent tout particulièrement les hausses de température. Le corail blanchit dès 0,5 à 1 °C de réchauffement du milieu marin. Cette réaction, lors de laquelle le corail expulse les microorganismes qui lui donnent sa couleur, peut lui être fatale si la chaleur perdure au-delà de trois semaines. La grande barrière de corail australienne en subit actuellement les effets à cause d’un phénomène El Niño particulièrement violent et auquel Tara sera confrontée dans les premiers mois de l’expédition. « Lors du tracé de l’itinéraire, nous n’avions pas prévu El Niño, confie Romain Troublé, directeur général de la fondation Tara Expéditions. Ce sera toutefois l’occasion de récolter des informations supplémentaires. »

Un hôte accueillant 

À ce jour, les biologistes ont répertorié 1 400 espèces de coraux. Mais les interactions entre les différents symbiotes qui constituent le corail sont encore peu connues. « Le génome des coraux est tout aussi complexe que celui des vertébrés », explique Denis Allemand, codirecteur scientifique de Tara Pacific et directeur scientifique. Les récifs coralliens sont des systèmes complexes, composés de différentes espèces vivant en symbiose et qui interagissent de façon bénéfique l’une pour l’autre. Ainsi, le développement du corail nécessite une combinaison entre le petit polype (cousin des méduses) qui constitue le squelette corallien, et d’autres entités comme des algues, des bactéries et autres micro-organismes qui apportent de l’énergie, des nutriments et même une protection contre les rayons du soleil.

Pour approfondir nos connaissances sur le corail, les Taranautes vont s’intéresser à la fois à son évolution face à l’activité humaine et aux changements climatiques, à la biodiversité des récifs, à leurs capacités d’adaptation ainsi qu’à leurs applications biomédicales. De l’échelle moléculaire à l’échelle macroscopique, les études comporteront entre autres des séquençages ADN, de la génétique des populations et des analyses de l’écosystème. Avec près de 40 îles explorées au cours de la mission, les chercheurs seront en mesure de réaliser des comparaisons entre les récifs en fonction de la géographie, des propriétés de l’eau, de l’influence de l’homme, etc. « C’est une recherche au croisement des disciplines », explique Thierry Coulhon, président de Paris Sciences et Lettres. Une fois Tara rentrée au port, 10 ans de recherche seront nécessaires pour exploiter les résultats.

Le protocole


Un tout nouveau protocole scientifique a été élaboré pour l’expédition. Les prélèvements se concentrent sur 3 espèces de corail, choisies pour leur biodiversité exceptionnelle (Pocillopora meandrina), leur croissance (Porites lobata) et leur capacité de protection (Millepora platyphylla). Elles sont présentes dans tout le Pacifique, de 0 à 50 m de profondeur. À chaque plongée, 3 échantillons de chaque espèce sont récoltés, ainsi que de l’eau environnante. Le corail bénéficie d’une longévité exceptionnelle : 4 000 ans pour les mieux préservés ! « En comprenant le processus de vieillissement du corail, nous aurons peut-être des indices sur notre propre mécanisme de vieillissement », indique Denis Allemand.