Colette Guillopé, Number Woman
La Semaine des mathématiques s’ouvrira le 14 mars prochain. S’y tiendra une conférence sur Sophie Germain, mathématicienne de génie pourtant peu connue. Pour pallier cette invisibilité des femmes en sciences, Colette Guillopé, professeure en mathématiques à l’Université Paris-Est Créteil, donne de la voix. Rencontre avec une militante aux formules aiguisées.
Chloé Huguenin - Publié le
Elle a cet air bienveillant qu’ont les gens de conviction. Au milieu des déguisements, imperturbable malgré la musique dancefloor qui résonne en arrière-fond, elle paraît calme derrière son stand mais déjà elle dénote. Au festival féministe Les Aliennes, à Paris, parmi les artistes et l’excentricité rebelle des jeunes engagées, Colette Guillopé tient haut les couleurs de la science. Livrets d’information, jeux de société, statistiques ostentatoires, la professeure à l’Université Paris-Est Créteil en mathématiques milite depuis près de trente ans pour la place des femmes dans la recherche et dans l’enseignement supérieur. Et elle est rodée. Après son entrée au CNRS en 1977, elle rejoint l’association Femmes et Maths à sa création en 1987 pour lutter contre la disparition des femmes dans son domaine.
Avec la mixité instituée dans les Écoles normales supérieures, les étudiantes sont arrivées dans un univers établi par et pour des hommes. « Je suis pour la mixité. Malheureusement, il était clair que les filles allaient disparaître, et elles ont quasi disparu ».
Dérivée
Celle qui n’aimait que les maths au lycée n’avait, jeune fille, aucune ambition de devenir scientifique. « Mes parents étaient profs, mais avant la dernière année d’études supérieures je ne savais même pas que le métier de chercheur existait. » Elle entre à l’ENS de Fontenay-aux-Roses en bénéficiant des quotas de femmes (et d’hommes) imposés à l’époque et décroche un DEA (niveau master 2) en maths appliquées. Directement après sa thèse de 3e cycle, elle est embauchée comme chercheuse CNRS à la Faculté des sciences d’Orsay. Aujourd’hui, elle enseigne les mathématiques à l’université et mène ses recherches dans le domaine des « équations aux dérivées partielles appliquées aux problèmes de mécanique des fluides, par exemple pour modéliser les problèmes relatifs aux mouvements de la mer ou au dépôt de sédiments près des côtes ». De telles équations se retrouvent dans une multitude de disciplines comme la mécanique en général, les mouvements des astres, les prévisions météorologiques, les assurances… « Les maths sont partout ! »
Le secteur, qui connaît un manque d’attractivité auprès des jeunes, représente 2,1 % des études en master et 2,9 % des études doctorales en 2013. En 2015, 21 % des postes en mathématiques à l’université sont occupés par des femmes. Pour faire face à cette pénurie, les associations promouvant la science fleurissent. Par exemple, les associations Femmes & Sciences, Femmes et Mathématiques, Femmes Ingénieurs comptent aujourd’hui plus de quatre cents membres, dont quelques hommes.
Un travail de fourmi
« C’est un travail de fourmi ». La scientifique n’en est pas à son premier fait d’armes : elle met en place en 1996 le premier forum des jeunes mathématicien·ne·s pour les doctorantes, organisé maintenant chaque année, et intervient dans les collèges et les lycées. « On est aussi un groupe de pression, on fait du lobbying. » Quand lors d’un colloque les mathématiciennes constatent qu’il y a trop peu d’intervenantes par rapport au nombre de femmes dans le domaine, les activistes du groupe La Barbe font irruption sur les bancs de l’Université.
Le groupe La Barbe dont la ligne d’action se traduit par : Être une femme, porter une barbe ostensiblement parmi les hommes de pouvoir. Consentir en silence à la suprématie des hommes et semer la confusion des genres…
Oiseau moqueur
Colette Guillopé agit en infiltrée qui prend soin de décliner les substantifs au féminin. Mathématiciens, mathématiciennes. Parmi les lauréats de la médaille Fields, l’équivalent du prix Nobel en mathématiques créé en 1936, ne figure qu’une seule lauréate, Maryam Mirzakhani, qui a remporté le prix en 2014... Une fois lancée, elle ne tarit pas d’anecdotes comme autant de sujets d’indignation. Le peu d’expertes dans les médias, ou les propos sexistes de ce scientifique prix Nobel de médecine, qui avait fait scandale durant l’été 2015. Il avait alors déclaré : « Voici trois choses qui arrivent lorsque les femmes sont dans un laboratoire : vous tombez amoureux d’elles, elles tombent amoureuses de vous, et quand vous les critiquez, elles pleurent. » Des propos qui avaient entraîné des excuses et la démission de son poste de professeur honoraire à l’Université de Londres.
« Ce sont des gens intelligents qui disent des choses absolument horribles » s’offusque Colette. À la veille de la Semaine des mathématiques qui commence le 14 mars et au lendemain de la Journée internationale des droits des femmes, la militante profite de chaque tribune. Le contact avec les étudiants (et étudiantes !) lui est aussi essentiel. Un sourire de malice se distingue dans sa voix quand elle avoue : « Je suis connue comme le loup blanc... ou la louve blanche » !