Contre les phobies, la réalité virtuelle se démocratise
En 2004, à Marseille, le docteur Éric Malbos menait les premiers essais cliniques français de traitement de la claustrophobie par exposition à la réalité virtuelle. Aujourd’hui, grâce à la commercialisation à moindre coût des visiocasques et la mise sur le marché des premiers programmes thérapeutiques, cette nouvelle technique de soin est en voie de démocratisation. Reportage.
Alexane Roupioz - Publié le
« De zéro à cent, quel est votre niveau d’anxiété ? », interroge le docteur Malbos. « Je vois que l’avion va décoller, donc je suis entre trente et quarante », confie Christine, la main tremblante. Mais autour du médecin-praticien en service de psychiatrie et de sa patiente, il n’y a pas de tarmac, pas de contrôleur aérien, pas de piste de décollage. Plongée dans un environnement virtuel, Christine assiste à l’une de ses dernières séances de thérapie pour traiter sa peur de l’avion. Si le décor n’a rien d’un aéroport, il est aussi très loin de celui des cabinets médicaux. Deux ordinateurs, trois casques de réalité virtuelle, un volant, un pédalier et un joystick pour simulation automobile occupent la pièce. Situé dans le service de psychiatrie pour adultes du professeur Lançon à l’hôpital de la Conception à Marseille, le bureau d’Éric Malbos a des allures de salle de jeux vidéo.
Depuis plus de dix ans, ce thérapeute met sa passion pour les technologies immersives au service de la médecine. En 2004, il mène les premiers essais français de thérapie par exposition à la réalité virtuelle (Terv) pour traiter la claustrophobie. « J’ai réussi à montrer qu’avec des cavernes ou des couloirs étroits créés en réalité virtuelle, il est possible de provoquer de l’anxiété ». Une étape clé pour apprendre aux patients à gérer leur stress grâce à des stratégies de pensée et des techniques de relaxation et de gestion des émotions que le médecin leur enseigne auparavant.
Avion, orage, hauteur...
Mais en 2004, la Terv n’a pas encore conquis la France. Alors, pour créer les environnements virtuels dont il a besoin pour ses études, il met la main à la patte. Avec l’aide d’un moteur graphique de jeu vidéo, il passe des heures à concevoir ces mondes virtuels. Au fil des années, il s’est constitué une bibliothèque d’une vingtaine d’environnements qu’il utilise pour traiter tout type de phobie. Derrière son ordinateur, il fait défiler des captures d’écran de tous ces mondes virtuels : peur de l’avion, de l’orage, des hauteurs, des oiseaux, de la foule, etc. Une panoplie d’environnements qui fait de cet hôpital de Marseille le leader français dans le domaine de la Terv. Avec la Pitié-Salpêtrière à Paris, il est actuellement le seul établissement hospitalier à proposer cette thérapie pour traiter les phobies. Mais dans les mois à venir, la Terv pourrait rapidement s’imposer auprès de tous les professionnels de santé, notamment grâce à la start-up toulonnaise C2Care (en français, voir pour soigner).
Comment se déroule une thérapie par réalité virtuelle ? Reportage à l’hôpital de la Conception à Marseille.
Créée en décembre 2015, cette société française conçoit des environnements virtuels en trois dimensions adaptés au traitement des phobies. Avec l’appui d’un comité scientifique, la jeune entreprise a développé des programmes thérapeutiques complets qu’elle vient tout juste de mettre sur le marché. « Je les conseille afin que les environnements qu’ils développent aient le maximum d’efficacité thérapeutique », explique le Dr Malbos, membre du comité scientifique. Disponibles sur des casques virtuels, ces programmes thérapeutiques seront dans un premier temps destinés aux professionnels de santé : psychiatres, psychologues, thérapeutes, ergothérapeutes. « Il faut diffuser cette technique à l’ensemble de la profession », précise Éric Malbos. Le médecin travaille actuellement à la rédaction d’un manuel qui décrit les protocoles thérapeutiques à respecter pour utiliser ces programmes.
Leur mise sur le marché coïncide avec la commercialisation à moindre coût de nombreux casques de réalité virtuelle. L’Oculus Rift de Facebook, le Vive de HTC, le Playstation VR de Sony. « Grâce à l’évolution de la technologie et à la commercialisation à moindre coût des casques virtuels, les patients vont bientôt pouvoir se soigner chez eux », se félicite le Dr Malbos. Si le médecin en est convaincu, c’est parce que quelques heures plus tôt, dans son bureau, une patiente venue de Nice pour traiter sa peur de chuter lui a confié avoir acheté un casque de réalité virtuelle. « Elle m’a avoué qu’une séance par semaine, cela ne lui suffisait pas. Elle aimerait continuer à s’entraîner chez elle ».
Exposer progressivement le patient
L’aspect ludique de la Terv n’est sûrement pas étranger au succès que cette thérapie rencontre auprès des patients. Mais cette méthode de traitement a également fait ses preuves. Des études cliniques ont montré qu’elle est aussi efficace que la thérapie cognitivo-comportementale (TCC), une méthode classique qui consiste à exposer le patient à un environnement réel afin de provoquer de l’anxiété, et de lui apprendre à la gérer. Mais chez 25 % des malades, cette démarche entraîne un refus de la thérapie par peur de son contenu. « La réalité virtuelle, c’est beaucoup moins de souffrance », confie François, qui a pris place à bord d’un avion dans le bureau du Dr Malbos. Casque sur la tête et télécommande de déplacement dans la main droite, il s’apprête à monter à bord de l’engin. Pour sa première séance de réalité virtuelle, il décollera à bord d’un avion rempli de passagers pour un vol d’une trentaine de minutes sans turbulences. Aux commandes de son ordinateur, Eric Malbos contrôle tous les paramètres du vol pour les adapter aux besoins de son patient. Car la thérapie doit être progressive. Dans la réalité, il est difficile de contrôler les conditions météorologiques, le nombre de passagers ou encore la durée d’un vol. « On peut tout contrôler, le patient sait que son exposition va être progressive et que ce n’est pas tout à fait réel ». Cette maîtrise est un des nombreux avantages qui devrait contribuer à la démocratisation de cette thérapie.
La TCC, la Terv et les avantages de la réalité virtuelle, par le docteur Éric Malbos
Des freins technologiques temporaires
Depuis le premier essai clinique en 1992 aux États-Unis, la technologie des casques de réalité virtuelle et les graphismes utilisés pour créer les environnements ont beaucoup évolué. « À l’époque, les casques étaient très lourds et chers, et les graphismes vraiment basiques », se souvient Eric Malbos. Avec l’évolution technologique, la Terv s’est perfectionnée pour permettre une immersion toujours plus réaliste des patients. Aujourd’hui, elle semble prête à conquérir le monde professionnel de la santé et le quotidien des patients. « C’est inéluctable, c’est le progrès ! », affirme le thérapeute. Des freins technologiques pourraient néanmoins ralentir le perfectionnement et la démocratisation de cette thérapie.
Exemples d'environnements disponibles
Retour dans le bureau du Dr Malbos. Alain s’est installé au volant d’une voiture roulant sur une autoroute à fort trafic. Pieds sur les pédales, main droite sur le levier de vitesse et casque sur la tête, pour sa dernière séance, Alain avoue être plutôt détendu. « Je supporte mieux le casque cette fois-ci, la dernière fois, j’avais eu des nausées ». Le cybermalaise, qui s’apparente au mal de mer ou des transports, peut survenir en réalité virtuelle lors de mouvements trop brusques. Généralement, une bonne propreté des lentilles du casque, des réglages adaptés et des mouvements plus lents suffisent à l’éviter. Mais pour le thérapeute, ce frein technologique est temporaire. Chaque génération de casques virtuels gagne en sensibilité et en précision. « La technologie évolue très rapidement, ce problème va disparaître avec le temps », prédit Éric Malbos, confiant.
Un outil au service du thérapeute
Les progrès technologiques constants sont également sur le point de lever le frein lié au fait que les utilisateurs ne peuvent pas réellement se déplacer. Lorsqu’ils sont plongés dans un monde virtuel, les patients peuvent bouger leur tête pour observer ce qui les entoure, mais pour se déplacer, ils doivent utiliser une télécommande. Enfin pour l’instant, car d’ici quelques mois, le bureau du Dr Malbos devrait être équipé d’un Virtuix Omni. Rappelant les tapis de course des salles de sport, cette plateforme permet de réellement marcher, mais sans se déplacer. L’environnement s’adapte à la vitesse et à la direction. Avec ce nouvel outil, les patients de l’hôpital de la Conception seront proches d’une immersion parfaite. Toutefois, de telles évolutions technologiques pourraient engendrer des dérives qu’il n’est pas toujours facile d’anticiper. « Pour les personnes les plus vulnérables, il y a un risque d’enfermement dans le monde virtuel », met en garde le Dr Malbos. Quant à l’utilisation personnelle des programmes thérapeutiques, elle devra toujours rester un outil de plus au service du thérapeute. « C’est un accompagnement du patient à domicile, les programmes ne peuvent pas remplacer les séances avec le thérapeute », insiste Éric Malbos. D’ici quelques mois, les patients atteints de phobies quitteront peut-être le bureau de leur thérapeute avec un tout nouveau type d’ordonnance : « 30 minutes de réalité virtuelle par jour. Ne pas s’exposer trop brutalement. » Et pour ces prescriptions, les grandes enseignes multimédias feront office de pharmacie.