La charge du Lancet

The Lancet (27 août 2005) © The Lancet (27 août 2005)

C'est à boulets rouges que la principale revue médicale internationale, The Lancet, vient d'ouvrir le feu contre l'homéopathie.

La célèbre théorie conçue à la fin du 18ème siècle par le médecin allemand Samuel Hahnemann essuie d'abord un éditorial au vitriol, intitulé rien moins que « La fin de l'homéopathie », éditorial qui assène « il n'est plus temps d'investir davantage dans la recherche pour perpétuer le débat homéopathie contre allopathie » et qui invite les médecins à « être courageux et honnêtes avec leurs patients sur le manque de bénéfices de l'homéopathie ».

Ensuite viennent un commentaire épistémologique, puis une charge contre la complaisance de l'OMS à l'égard des médecines parallèles. Enfin c'est une étude de sept pages, signée d'un groupe de médecins suisses et britanniques renommés (emmenés par le Professeur Aijing Shang de l'Université de Bristol), qui conclut que les médicaments homéopathiques, au bout du compte, ne se comportent pas mieux que les placebos.

Médicaments homéopathiques : quel mode d'action ?

Même s'ils ont réussi à produire un certain nombre d'études de bonne qualité montrant que leurs produits peuvent avoir des effets cliniques, les homéopathes sont toujours bien incapables d'expliquer le mode d'action de leurs préparations. Celles-ci sont en effet obtenues par des dilutions si énormes (jusqu'à 10 puissance -30 !) qu'il ne reste généralement pas une seule molécule de l'extrait actif initial dans le médicament administré au patient. Et penser que des effets cliniques, autres que ceux issus du psychisme, peuvent être générés par des granules constitués d'eau et de sucre est bien difficile à concevoir pour un esprit scientifique. C'est d'ailleurs sans doute cette offense au bon sens rationaliste, bien plus que l'analyse sophistiquée de l'équipe de A. Shang, qui a motivé la charge du Lancet.

Avec quelle méthode ?

Matthias Egger, co-auteur de l'étude et professeur à l'université de Berne “Avec l’homéopathie, on ne voit plus d’effet lorsque les études présentent de grands effectifs, alors qu’avec la médecine traditionnelle il reste un effet, une différence entre le placebo et le médicament traditionnel.“ © Science Actualités (2005)

Pour parvenir à ce résultat, les chercheurs ont analysé plus de 200 essais cliniques évaluant toutes sortes de médicaments homéopathiques, qui ciblent des pathologies diverses allant des allergies aux troubles intestinaux.

Tous ces essais ont été effectués selon la méthode dite du « double aveugle contre placebo », désormais incontournable, qui exige que seule la moitié des malades testés reçoivent le médicament étudié, les autres recevant une préparation inactive, le placebo. En outre, les malades comme les expérimentateurs doivent ignorer quels sujets reçoivent quelle préparation. Un nombre équivalent d'études allopathiques, portant sur des pathologies analogues, a également été sélectionné pour servir de témoin.

Les expérimentateurs ont ensuite épluché ces publications, en traquant les biais méthodologiques (mauvaise sélection de l'échantillon de patients, mauvais traitement statistique des résultats, etc.). Après en avoir éliminé près de la moitié comme étant « de faible qualité » (tout en reconnaissant que les allopathes dans leur ensemble ne font pas de meilleurs essais que les homéopathes), les chercheurs se sont aperçus que, certes, la majorité des études indiquait un effet plus important du traitement que du placebo. Mais c'étaient les protocoles à plus faible effectif (une soixantaine de patients) qui montraient les effets les plus forts (en homéopathie comme en allopathie, d'ailleurs).

Cet effet allait s'affaiblissant à mesure que l'effectif montait (1500 patients pour les plus grosses études). Mais la différence est qu'avec l'homéopathie, les essais à fort effectif avaient un effet tendant vers zéro, alors que cet effet restait bien perceptible pour les médicaments allopathiques. Ce qui prouve, selon les signataires, l'absence d'efficacité clinique des médicaments homéopathiques.

Questions à Matthias Egger, co-auteur de l'étude...

Matthias Egger, vous concluez votre article en estimant qu'il est inutile de faire davantage d'études « homéopathie contre placebo ». Alors que doit faire la recherche maintenant ?

« Il serait intéressant d'étudier les facteurs qui font que les gens sont mieux après avoir vu un homéopathe et comprendre un peu tout le processus qui se passe entre le médecin et son patient dans la médecine traditionnelle comme dans l'homéopathie. Il faudrait également voir comment ces effets non spécifiques, le contexte, se déroulent, comment on pourrait mieux les comprendre et mieux les utiliser dans la médecine. Nous devons comprendre qui va profiter de ces effets, quelles sont les déterminants de l'effet non spécifique dans l'interaction entre le patient et le médecin - plutôt que de faire des études contrôlées contre placebo. »

Certains prétendent que l'homéopathie est une façon peu coûteuse d'utiliser l'effet placebo. Qu'en pensez-vous ?

« C'est une manière de voir la situation. D'un autre côté c'est difficile pour beaucoup de médecins d'utiliser quelque chose qui n'a pas d'efficacité spécifique. Or pour être efficace, il faut avoir le language et les convictions des homéopathes, il faut croire que diluer et diluer encore va renforcer l'effet pharmacologique. C'est-à-dire qu'il ne suffit pas de donner des granules blancs, il faut aussi expliquer un système qui pour beaucoup de gens paraît peu plausible - et beaucoup de médecins ne peuvent pas le faire parce qu'ils n'y croient pas. Il n'est pas éthique de dire ces choses aux patients si les médecins eux-mêmes n'y croient pas. »

« Une attitude peu scientifique » selon les partisans de l'homéopathie

Gilles Chaufferin, directeur général adjoint chez Boiron © Science Actualités (CSI) 2005

Les partisans de l'homéopathie soulignent que le choix des études labellisées « de qualité » par les auteurs s'est fait selon des critères peu explicites, et qu'en sélectionnant les études que l'on veut, on peut ensuite tout leur faire dire.

Les auteurs reconnaissent d'ailleurs eux-mêmes qu'il n'est pas facile de statuer sur la qualité d'un essai clinique plusieurs années après qu'il ait été conduit, simplement sur la base de la publication qui en a été faite…

Le contexte français

Jacques-Louis Binet, Secrétaire perpétuel de l'Académie Nationale de Médecine © Science Actualités (CSI) 2005

Dans un contexte général de réduction des dépenses médicales, les autorités françaises ont pris la décision l'année dernière de ramener à 35% le taux de remboursement par la Sécurité sociale des médicaments homéopathiques, contre 65% auparavant.

Et de nouvelles économies ont été annoncées, qui pourraient, selon certains experts – bien que pour l'instant, le ministre de la Santé s'en défende – se traduire à terme par un déremboursement total de ces traitements, comme c'est déjà le cas en Suisse depuis cinq ans, et dans bien d'autres pays. Un déremboursement qu'en France, l'Académie Nationale de Médecine réclamait encore l'année dernière.

Combler les failles de la médecine traditionnelle

Dr Jeulin, présidente du syndicat des médecins homéopathes : « Le déremboursement des médicaments homéopathiques n'a pas de sens tant au niveau économique qu'au niveau de la santé. » © Science Actualités (CSI) 2005

Mais en définitive, quoiqu'on pense des médicaments homéopathiques, il y a fort à parier que leur succès croissant aussi bien auprès du public que des médecins s'explique en bonne partie par les travers de la médecine moderne elle-même. Toujours plus pressée, technologique et déshumanisée, cette dernière semble souvent incapable d'appréhender le malade dans sa globalité.

Or la médecine, à l'évidence, n'est pas seulement affaire de molécules. Shang et ses confrères soulignent, en conclusion de leur étude, les « puissantes alliances » qui unissent les homéopathes à leurs patients.

Pour la médecine moderne, retrouver le secret de telles alliances serait peut-être plus profitable que d'obtenir le déremboursement de granules qui représentent à peine 0,5% des dépenses médicales françaises.