Le mode de vie d’Homo erectus, qui vivait il y a plus d’un million d’années, se révèle sous un nouveau jour. En effet, une étude réalisée par une équipe franco-hollandaise montre que l’hominidé se nourrissait de moules d’eau douce et utilisait ces coquillages comme outils. Mais ce sont surtout des gravures géométriques retrouvées sur certains d’entre eux qui ont surpris les scientifiques. Cette étude est parue dans la revue Nature du 3 décembre.
Alors que le mode de vie d’Homo erectus reste mystérieux, Joséphine Joordens, paléoclimatologue et spécialiste des origines de l’Homme, décide en 2007 d’étudier la collection d’Eugène Dubois, conservée au Musée d’histoire naturelle de Leiden, aux Pays-Bas, avec des chercheurs de l'université de cette ville et de l'université de Bordeaux. Les scientifiques se penchent sur les coquillages de la collection, peu étudiés jusqu’à présent.
En effet, l'anatomiste néerlandais Eugène Dubois, passionné par la recherche de l’origine de l’Homme, a rapporté aux Pays-Bas ces coquillages récoltés en 1890 dans des dépôts alluviaux de la rivière Solo, dans la région de Trinil, à Java, en Indonésie. C’est aussi le lieu où il a découvert les restes d’Homo erectus, un an plus tard.

Un mode de vie à base de coquillages

De fait, l’analyse de 116 échantillons de la collection a permis d’« ouvrir une petite fenêtre sur ce qui nous est caché du mode de vie et du comportement de l’hominidé  », explique Francisco d’Errico, directeur de recherche au PACEA (Groupe de recherche « De la préhistoire à l’actuel ») à Bordeaux, qui a collaboré à l’étude. En effet, ces moules d’eau douce issues de la même couche géologique que les restes d’Homo erectus apportent de nouvelles informations.
Tout d’abord, les chercheurs ont déduit de l'analyse des marques laissées sur les valves que l’hominidé possédait une technique spécifique de perforation des coquilles, leur permettant d’ouvrir les moules, ceci probablement pour s’en nourrir.

Un objet pointu perfore la coque à l'emplacement du muscle adducteur antérieur du mollusque et frappe le muscle (indiqué en rouge). Cela provoque une perte de contrôle musculaire, et la coquille peut alors être ouverte.
Par ailleurs, des marques d’abrasion significatives laissent à penser qu’Homo erectus ne se contentait pas de manger les coquillages, mais les utilisait comme outils.

Plus étonnant encore, certaines coquilles présentent des gravures géométriques. Ce type de gravure n’avait jamais encore été observé pour Homo erectus. Ces traces ténues ne permettent pas aux scientifiques d’affirmer que l’hominidé était un artiste, mais elles apportent un éclairage nouveau sur ses capacités.

Un site rajeuni

La datation des sédiments contenus dans les échantillons a aussi apporté son lot de révélations. En effet, le site qu’on pensait très ancien est finalement plus jeune. Cette nouvelle datation a été réalisée avec deux techniques associées, celle de l’Argon-argon (40Ar/39Ar), une méthode de datation radiométrique, et la thermoluminescence. Résultat : les coquillages ont été utilisés entre 430 000 et 540 000 ans. D’une part, donc, les moules gravées sont plus anciennes que ce qu’on estimait jusqu’alors. En effet, les plus anciens coquillages gravés connus sont plus jeunes d'au moins 300 000 ans. D’autre part, cette datation rajeunit le site d’environ 500 000 ans. En effet, jusqu’à maintenant on estimait son âge à environ 900 000 ans. Ces résultats remettent donc en cause l’ancienneté d’Homo erectus sur le site de Trinil.

Comme un homme moderne ?

La technique de la gravure géométrique est considérée comme un signe de capacités cognitives modernes. Aussi, pour les auteurs de l'étude, Homo erectus était-il doté de ces capacités. Jusqu’à présent, « le débat sur l’origine de ce type de capacités concernait plutôt Homo sapiens et Néandertal », explique Francisco d’Errico. Mais les résultats présentés par Joséphine Joordens et ses collègues semblent bien attester que l’Homo erectus asiatique avait probablement des performances cognitives proches de celles d’Homo sapiens.