La forme d’un arbre est déterminée par de complexes interactions entre la génétique et les stimuli environnementaux ; ainsi, son développement vertical est soumis à l'influence de la lumière et de la gravité. Mais des chercheurs de l’université d’État polytechnique de Californie, à San Luis Obispo, ont constaté que l’inclinaison si caractéristique du pin colonnaire (Araucaria columnaris) obéissait peut-être à d’autres principes. Ils exposent leurs observations dans une étude parue dans la revue Ecology du 7 juin.
Ce conifère endémique de Nouvelle-Calédonie s’est acclimaté aux régions tempérées, subtropicales et tropicales, si bien qu'on le retrouve aujourd'hui partout dans le monde. Son tronc peut atteindre une hauteur de 50 mètres. Malgré sa large diffusion et son aspect insolite, il n’a été étudié que de façon anecdotique.

Inclinaison vers l'équateur

De façon un peu fortuite, un chercheur américain spécialiste des arbres, Matt Ritter, a noté que les conifères californiens penchaient toujours vers le sud. Intrigué, il s’est renseigné auprès d’un collègue australien, pays où l’espèce est courante, pour savoir si tel était le cas à l’autre bout du monde. Surprise : dans ce pays, les arbres étaient certes inclinés, mais vers le nord.
Cette constatation étonnante a conduit Matt Ritter et son équipe à étudier un échantillon de l'espèce : 256 arbres répartis sur les cinq continents et dans dix-huit régions différentes, à des latitudes comprises entre 7 et 35 ° nord et 12 et 42 ° sud de latitude, y compris les espèces natives de Nouvelle-Calédonie (21 ° sud). Ils ont ainsi dégagé un modèle étonnamment stable selon l’hémisphère : au nord, les arbres penchent vers le sud et au sud, ils s'inclinent vers le nord. Moins de 9 % des conifères étudiés échappent à ce modèle. Enfin, le niveau d’inclinaison dépend de la distance à l’équateur : plus les arbres se situent sous de hautes latitudes, plus ils sont inclinés. A contrario, plus ils sont proches de l’équateur, plus ils sont verticaux. 
 

Un mécanisme inexpliqué

Rare chez d’autres espèces, l’inclinaison du pin colonnaire reste pour le moment inexpliquée. « C’est un peu décevant, réagit Bruno Moulia, directeur de recherche à l’Inra (Institut national de recherche agronomique), spécialiste de physique et physiologie intégratives des arbres. Après un beau descriptif scientifique, l’équipe n’apporte pas d’explication claire au phénomène ».
Des pistes sont néanmoins avancées par les chercheurs américains. Il pourrait s'agir d'une combinaison entre la perception du magnétisme terrestre et un gravitropisme non corrigé : lors de sa croissance, l’arbre est attiré naturellement vers la lumière, un mouvement spontané rectifié par la détection de la gravité au niveau moléculaire, ce qui lui permet de se tenir droit. Bruno Moulia avance une autre hypothèse : la sélection, au cours du temps, d’un variant génétique photosensible et héliotropique, à l'instar des tournesols qui s’orientent selon la course du soleil. Quoi qu’il en soit, ce phénomène original nécessite des études plus approfondies. 

Point de vue de Bruno Moulia, directeur de recherche à l'Inra, sur les raisons qui pourraient favoriser l'inclinaison typique des pins colonnaires (interview sur Skype)
Pour en savoir plus : Chez les plantes aussi ça bouge ! Conférence, Universcience, 2013