Ils étaient difficiles à observer et les anatomistes ont même nié leur existence pendant des siècles. Mais des vaisseaux lymphatiques font bel et bien le lien direct entre système nerveux central et système immunitaire. C’est l’objet de l’étude américaine publiée le 1er juin 2015 dans la revue Nature. Cette découverte, effectuée par des chercheurs de l’université de médecine Virginia School, revêt un intérêt majeur dans l’explication des survenues de neuropathologies avec une composante inflammatoire telles que l’autisme.
C’est Antoine Louveau, post-doctorant au laboratoire du Pr Kipnis – directeur du UVA's Center for Brain Immunology and Glia (BIG) – qui les a observés le premier... et un peu par hasard ! L’objectif initial de l’étude était de savoir comment des cellules immunitaires T arrivaient à transiter à travers les méninges, l'une des structures protectrices du cerveau et de la moelle épinière. Il y a quatre ans, l’équipe avait montré que chez des individus sains, la présence de cellules T dans les méninges était nécessaire pour que la souris soit capable d'accomplir des tâches cognitives. L’équipe a donc tenté de caractériser la dynamique de ces cellules T, essentiellement chez la souris, mais aussi sur des échantillons humains.

Des vaisseaux lymphatiques inconnus

Antoine Louveau
Pour étudier les méninges, les chercheurs ont mis au point une technique de dissection qui a contribué à la découverte : lorsque le cerveau de la souris est extrait, les méninges restent en place au fond du crâne, ce qui permet de les étudier directement sans avoir à les disséquer ou réaliser une fixation a posteriori. Après un marquage spécifique ciblant les cellules immunitaires, les chercheurs ont remarqué qu’elles étaient alignées dans une structure vasculaire qui n’appartenait pas au système cardiovasculaire. Comme le second système vasculaire dans l’organisme est le système lymphatique, ils ont utilisé des marqueurs spécifiques de ce dernier pour pouvoir les caractériser : le résultat était positif.
Anatomiquement, il est particulièrement délicat de trouver ces structures de 20 à 40 micromètres de diamètre. Celles-ci commencent au-dessus du bulbe olfactif et de la zone des yeux, restent dans les méninges et se terminent dans les ganglions cervicaux profonds. Pour les spécialistes, on notera que ces vaisseaux sont de type initial et non collecteur : ils n'ont pas de valves et ne sont pas associés à des cellules musculaires lisses.

Les scientifiques savent depuis une dizaine d'années que si un traceur, comme le bleu Evans, est injecté dans le liquide céphalo-rachidien (qui baigne le système nerveux central), on retrouvera ce traceur dans les ganglions cervicaux. Ils savent également qu’il existe plusieurs voies de drainage du liquide céphalo-rachidien pour quitter le système nerveux central, car c’est un système sous pression, et sa modification peut avoir des conséquences néfastes au niveau cérébral. Mais le lien direct entre le liquide céphalo-rachidien et les ganglions cervicaux n’avait jamais clairement été démontré.
Dans cette nouvelle étude, lors de l’injection, le premier ganglion qui reçoit le traceur est le ganglion cervical profond. Quand les chercheurs affectent les ganglions cervicaux profonds, soit en les enlevant, soit en créant une ligation, les vaisseaux lymphatiques des méninges sont aussi affectés. Ce qui corrobore une connexion directe entre ces deux structures.

Dans la littérature du XIXe siècle, on trouve déjà la description, surtout chez le rat, de potentiels vaisseaux lymphatiques dans les méninges. Mais les marqueurs qui ont permis d’identifier ces structures comme étant des structures lymphatiques n’ont été découverts que dans les années 2000. Avant cela, la seule façon de confirmer l’existence de ces vaisseaux lymphatiques était de se baser sur des données ultra-structurales et celles-ci étaient vivement débattues par la communauté scientifique. C’est la raison pour laquelle ces études n’ont jamais été poursuivies à l’époque. Mais en regard des rôles principaux du système lymphatique (permettre le drainage du liquide qui est présent dans les tissus vers le système cardiovasculaire pour débarrasser les tissus de tous leurs déchets et permettre la re-circulation, le trafic des cellules immunitaires des tissus vers les ganglions), cette découverte permettrait de réévaluer son implication dans des pathologies neurologiques.

Une composante inflammatoire

Maintenant qu’un lien direct entre système immunitaire et système nerveux central est établi, ces vaisseaux pourraient aider à expliquer comment des maladies neuro-inflammatoires surviennent et pourquoi le système immunitaire se dérègle dans certains cas. Dans la maladie d’Alzheimer par exemple, certaines protéines s’accumulent. Ceci pourrait résulter d’un mauvais fonctionnement des vaisseaux lymphatiques, qui les empêcherait d'être correctement éliminées. Dans la maladie de l’autisme, les chercheurs ont également découvert récemment une composante neuro-inflammatoire. Un des futurs projets de l’équipe est de regarder si ces vaisseaux s’étendent aussi à la moelle épinière ou si leur localisation est restreinte au cerveau.

Antoine Louveau