C'est une découverte surprenante : deux espèces de grenouilles brésiliennes du genre Brachycephalus, dites « grenouilles citrouille », pas plus grosses que le bout du doigt mais très toxiques, sont sourdes à leur propre chant. C'est ce qu'explique, dans la revue Science Reports du 21 septembre 2017, une équipe internationale de chercheurs brésiliens, danois et anglais emmenée par la bioacousticienne française Sandra Goutte. 

Une oreille moyenne absente

Contrairement à la très grande majorité de leurs congénères, ces deux grenouilles, Brachycephalus ephippium et B. pitanga, sont dépourvues d’oreille moyenne. Elles semblent néanmoins réagir aux chants qu’elles échangent entre elles. Comment expliquer ce mystère ? 

Pour répondre à cette question, l’équipe de chercheurs a mené à bien une série d’expériences grâce à la collaboration entre cinq laboratoires. Le comportement de l’animal a tout d'abord été scruté, sans apporter d'éclaircissement. Les scientifiques ont ensuite procédé à des observations plus poussées, notamment en neurophysiologie grâce à la vibrométrie laser, qui permet de capter des mesures de vibrations sans contact. Puis ils ont établi une courbe de sensibilité auditive en plaçant des électrodes sous la peau des grenouilles, une près de l’oreille interne – toujours présente – et une autre près du cerveau.
Résultat : ces deux espèces n’entendent pas les fréquences hautes, notamment celles correspondant à leur propre chant, situées entre 4 et 5 kHz. Et pour cause : l’organe sensoriel dont c'est la mission ne fonctionne pas, comme le montre l’exploration de l’oreille interne des batraciens. « C’est très étonnant, pour l’instant on n’a pas d’autre exemple de ce type dans le règne animal », souligne Sandra Goutte. 

Un chant vestigial

Si leur chant est devenu inaudible par leurs congénères, pourquoi ces grenouilles continuent-elles de chanter ? Chez la plupart des amphibiens anoures (les grenouilles et les crapauds), le chant est utilisé par le mâle pour capter l’attention d’une partenaire. Activité énergivore, chanter risque en outre d'attirer prédateurs et parasites. Au moins les deux espèces « citrouille » sont-elles protégées par la tétrodotoxine présente dans leur peau et leurs organes. 

Cette Brachycephalus pitanga est train de chanter. Son chant, devenu presque inaudible au fil de son évolution, ressemble à la stridulation des grillons. © Sandra Goutte
Pour l'équipe, l'hypothèse la plus probable est que la communication visuelle de ces petits amphibiens a remplacé la communication acoustique. Diurnes et très colorées, ces deux espèces recourent à des signaux visuels pour communiquer : petits mouvements saccadés des pattes, gonflement de la gorge…
Le son ne serait donc plus qu’un vestige de leur évolution, détrôné par une communication devenue surtout visuelle. «  Mais les biologistes devront travailler davantage pour expliquer les causes de cette surdité partielle, explique Sandra Goutte. Pour cela, il faudrait observer d’autres espèces ; or il en existe une trentaine rien que pour le genre Brachycephalus ! » 

Cette Brachycephalus pitanga communique en utilisant des signaux visuels. © Sandra Goutte