« Tous donneurs d’organes ! », « Votre corps ne vous appartient plus », « À partir de janvier, découpe obligatoire ! » a-t-on pu lire dans la presse ces dernières semaines. En donnant à penser que personne ne pourrait plus s’opposer au prélèvement de ses organes ou de ceux d’un proche, ces titres ont jeté un froid. Pourtant le décret entré en vigueur le 1er janvier 2017 n’a presque rien changé : le « consentement présumé » au don de ses organes est inscrit dans la loi depuis 1976. Les personnes ne souhaitant pas devenir donneuses peuvent s’inscrire depuis 1998 sur un registre national du refus dont l’accès sera d’ailleurs facilité à partir du 23 janvier avec une inscription en ligne sur le site de l’Agence de la biomédecine. Enfin, si le nom du défunt ne figure pas dans ce registre, les proches seront toujours consultés. En revanche, la nature de cette consultation évolue : les proches – familles ou amis – n’auront pas à donner leur avis personnel, mais ils devront témoigner de l’éventuelle opposition du défunt au prélèvement de ses organes. Le témoignage rédigé par les proches ou retranscrit par l’équipe de coordination permet de conserver une trace du refus.

Pourquoi une telle confusion ?

En 2015, un amendement à la loi de santé, porté par le professeur Jean-Louis Touraine et le docteur Michèle Delaunay, déclenche la polémique. Il prévoit qu’en l’absence d’inscription au registre des refus, le prélèvement sera considéré comme « consenti », les proches n’étant plus consultés, mais simplement « informés des prélèvements envisagés » et de leur finalité.
L’adoption de cet amendement par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale dans la nuit du 19 mars 2015 déclenche un tollé, notamment parmi les professionnels du prélèvement et les associations de malades. Pour les premiers, qui côtoient les familles dans des moments difficiles, il est inenvisageable de les placer devant le fait accompli. Les spécialistes d’éthique médicale dénoncent une entrave au principe même du don. Et certaines associations de malades comme Renaloo, pourtant directement concernées par le manque de greffons, estiment cette évolution de la loi dangereuse et contre-productive, pouvant être « interprétée comme le signe d’une évolution vers une médecine utilitariste ou totalitaire, transformant le don d’organe en un dû et visant à la nationalisation des corps par l’État ». Face à ces réactions, le décret publié en août 2015 élargit les possibilités de refus au don d’organes en redonnant une place aux proches et à la famille.

« Consentement présumé »

« Tout ça, pour ça ! », tempête Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale à l’université Paris-Sud. Il s’est vivement opposé à cet amendement, tout en plaidant pour une transformation en profondeur de la loi qui redonne une place centrale au don, grâce à la création d'un registre de l’acceptation plutôt que du refus et à la suppression du « consentement présumé » au bénéfice d’un don entièrement consenti. L’idée d’un registre du « oui » est séduisante, mais elle s’avère, hélas !, plus « risquée » : même si une très grande majorité de personnes se déclare favorable au don d’organes, peu officialisent leur position en s’inscrivant sur un registre. Or, l’absence d’inscription sur un registre du oui peut être considérée comme une opposition au prélèvement, alors que l’adage « qui ne dit mot consent » prévaut en l’absence d’inscription sur un registre du refus.
En 2015, le pays de Galles a ainsi changé sa législation en optant pour un consentement présumé du défunt en l’absence d’inscription sur un registre de donneurs ou un registre du refus. Une nouvelle législation qui a permis d’accroître le nombre de greffes : en 2016, sur 160 greffes, 39 greffons provenaient de personnes présumées consentantes. Un médecin de commenter cette nouvelle législation à la BBC : « Elle a permis d’attirer l’attention de la population sur le don d’organes. Beaucoup de gens en ont discuté avec leurs proches et ont exprimé leur opinion. Cela rend les choses beaucoup plus faciles pour les proches et pour l’équipe médicale. »
Olivier Bastien, directeur de la greffe à l’Agence de la biomédecine, de confirmer : « Le décret français n’a pas pour but d’angoisser les gens ; il doit faciliter l’expression du refus pour les 20 à 25 % de Français opposés au don de leurs organes. Son objectif est aussi de clarifier la position des uns et des autres afin qu’il y ait, le moment venu, le moins d’incertitude possible ».