La notoriété des lucioles repose beaucoup sur leur étonnante aptitude partagée par la plupart des espèces à s’illuminer. Ces insectes ont notamment recours à des clignotements lumineux au niveau de leur abdomen pour attirer un partenaire sexuel et s’en faire connaître. L’interaction chimique à l’origine de ce phénomène est connue depuis la deuxième moitié du XIXe siècle : une enzyme, la luciférase, agit sur une protéine, la luciférine, ce qui entraîne l’émission de photons.
Cette réaction se produit dans un organe spécifique de l’abdomen, la « lanterne », à l’intérieur des cellules qui la tapissent. Elle nécessite impérativement la présence d’oxygène mais, jusqu’à récemment, les scientifiques s’interrogeaient encore sur les quantités nécessaires et le mécanisme d’approvisionnement de l’oxygène aux cellules lumineuses. La structure même du réseau de trachéoles – ensemble de conduits qui transportent l’air dans tout le corps, de plus en plus fins à mesure qu’ils approchent des organes à desservir – complique l’étude de ce processus. Le diamètre des trachéoles les plus minces est, en effet, inférieur à un micromètre.
Des chercheurs suisses et taïwanais viennent de franchir une étape dans la compréhension de la bioluminescence des lucioles. Dans une étude publiée le 17 décembre 2014 dans la revue américaine Physical Review Letters, ils expliquent qu’en se servant de nouvelles techniques d’imagerie offrant une résolution d’image de moins d’une vingtaine de nanomètres – la microtomographie synchrotron à contraste de phase et la microscopie par transmission de rayons X – ils ont pu observer la diffusion de l’oxygène à travers les trachéoles, sur des lucioles vivantes, et mesurer la quantité présente dans les cellules.

Avec ses collègues, Yueh-Lin Tsai, principal auteur de l’étude travaillant à l’Académie chinoise et à l’université nationale Tsing Hua à Taiwan, a mis en évidence que l’émission de signaux lumineux requiert une importante quantité d’oxygène. Pour qu’il y ait luminescence, il faut donc un apport supplémentaire d’oxygène dans les cellules où se produit la réaction entre la luciférase et la luciférine. Pour ce faire, l’organisme des lucioles détourne, le temps d’émettre sa lumière, une part de l’oxygène destiné aux constituants des cellules qui sont au cœur du métabolisme énergétique : les mitochondries.
Pour Giorgio Margaritondo, chercheur à l’École polytechnique fédérale de Lausanne qui a participé à cette étude, les procédés d’imagerie utilisés ouvrent la voie à de nouvelles perspectives. « Les images que nous avons obtenues avec les lucioles montrent que nous pouvons désormais réaliser des radiographies et des scans à un niveau microscopique sans précédent », explique-t-il. Quelles applications pourraient découler de l’emploi de ces techniques ? L’observation des interactions entre les cellules et les nanoparticules ou le dépistage précoce en cancérologie sont des exemples. « Les tumeurs cancéreuses s’accompagnent de déformations sur les vaisseaux sanguins qui commencent sur de très petits vaisseaux. En les détectant, nous pourrions déceler des tumeurs et les détruire avant l’apparition d’autres signes. Nous avons déjà des résultats dans ce sens, et ils sont très prometteurs ».