Faux médicaments : les professionnels de santé s’inquiètent
Le trafic international de faux médicaments inquiète les professionnels de santé. Médecins, pharmaciens et vétérinaires se sont réunis pour adresser aux décideurs politiques et aux Français une liste de recommandations pour lutter contre ce fléau.
Chloé Huguenin - Publié le
Que se passerait-il si votre traitement contre le cancer ne contenait rien d’autre qu’un peu de sucre ? Insuffisance ou absence du principe actif, voire présence de produits toxiques, les faux médicaments peuvent être dangereux. Au mieux, ils n’occasionnent pas les effets escomptés ; au pire, ils peuvent entraîner la mort par absence de traitement ou intoxication. Selon Wilfried Rogé de l’Institut de recherche anti-contrefaçon des médicaments (IRACM), « le nombre de morts dues aux faux médicaments varie entre 700 000 et 2 millions par an en fonction des études ».
Plus rentable et moins risqué que le trafic de drogues
À l’heure actuelle, le Code pénal français prévoit sept ans de prison et 750 000 € d’amende pour quiconque falsifie des médicaments. Des mesures qui, pour les professionnels de santé, ne suffisent pas et laissent prospérer un trafic plus rentable et moins risqué que le trafic de drogues. Les Académies nationales de médecine, de pharmacie et l’Académie vétérinaire de France se sont réunies le 5 avril 2016 pour dénoncer un arsenal juridique insuffisant, notamment en ce qui concerne la lutte à l’international. En cause : une définition vague de cette catégorie de contrefaçons et une législation mal adaptée. Avec le « Manifeste pour une politique de prévention et de répression du trafic des médicaments falsifiés à l’échelle internationale », leur objectif est de pousser la France à prendre des mesures fortes dont la ratification de la convention Médicrime du Conseil de l’Europe – l’unique instrument pénal international visant à lutter contre le trafic de produits médicaux mis sur le marché sans autorisation ou en violation des normes de sécurité.
En France, le gouvernement travaille depuis janvier 2015 à cette ratification. Le texte, adopté par le Sénat le 17 décembre 2015, sera discuté le 12 mai pour une mise en application prévue en juin 2016. Selon l’ambassadrice du ministère des Affaires étrangères chargée de la lutte contre les menaces criminelles internationales et de la lutte contre la criminalité organisée, ce délai s’explique par les modifications nécessaires à apporter au Code pénal français pour rester en accord avec la convention Médicrime. Mais pour les professionnels de santé, il y a urgence.
La France, encore relativement épargnée
Selon les pays, les sanctions varient grandement – de la peine de mort en Chine, à deux ans de prison et 5000 euros d’amende au Cameroun. « Il y a des paradis pharmaceutiques comme il y a des paradis fiscaux », fait remarquer Claude Debrulle, directeur général honoraire du ministère belge de la Justice et président du groupe d’experts internationaux chargé de rédiger le projet de convention Médicrime. Selon l’OMS, dans les pays en développement, le ratio des contrefaçons sur le marché du médicament atteint 30 %. Dans les pays émergents, il serait de 10 à 15 % et dans les pays développés, de 1 %. Si l’Union européenne est loin d’être la région du monde la plus touchée par le phénomène, les professionnels du secteur prônent la vigilance et s’inquiètent de la croissance du secteur. « Non seulement de plus en plus de gens se mettent à la falsification, mais surtout, ils pénètrent la chaîne légale de distribution. Exemple : en Angleterre en 2007, 2 millions de doses ont été directement distribuées aux patients. Et pas des produits érectiles, mais des produits contre le cancer et contre la schizophrénie », s'alarme Wilfried Roger, de l’Institut de recherche anti-contrefaçon des médicaments (IRACM). Pour le moment, la France semble relativement épargnée, les faux médicaments n’ont pas pénétré le système légal de distribution. Frédéric Laforet, chef de l’Observatoire des médicaments de la Direction du renseignement douanier, indique toutefois qu’en 2015, « 1,5 million de médicaments ont été saisis, dont 200 000 contrefaçons. Le reste représente des produits érectiles, dopants, illicites… ».
Quels médicaments concernés ?
L’ingéniosité des falsificateurs semble sans limites. Le faux se retrouve partout : Viagra, anabolisants, mais aussi vaccins… Pernette Bourdillon-Estève de l’OMS décrit l’ampleur du phénomène : « Il existe de faux contraceptifs. Dans les pays où l’avortement est illégal, vous imaginez la situation quand une contraception d’urgence ne fonctionne pas. » La nouveauté parmi les stocks semble concerner les médicaments vétérinaires.
Internet, un marché propice
Le marché florissant doit son succès aux ventes en ligne. Anonymes, discrètes, moins coûteuses, les offres peuvent paraître alléchantes pour le consommateur. Gaëtan Rudant, directeur de l’inspection à l’Agence nationale du médicament (ANSM) met en garde : « Nous procédons à des achats de médicaments sur Internet et notre constat est sévère : dans deux tiers des cas les médicaments qui sont vendus en dehors de la chaîne légale sont de qualité insuffisante : teneur en principe actif insuffisante, principe actif erroné, voire pas de principe actif du tout. » En France, la vente de médicaments sur le web est autorisée pour les produits sans ordonnance, uniquement sur des sites de pharmacies agréées. Le site de l'Ordre national des pharmaciens recense les plateformes fiables. En outre, le gouvernement a instauré le bureau Cyberdouane de lutte contre les fraudes douanières sur Internet.
L'appel de Cotonou contre les faux médicaments from fondation Chirac on Vimeo.
Selon les experts, les opérations coup de poing à l’exemple de Pangea – une vaste opération internationale menée dans 115 pays sur Internet – et les saisies ponctuelles de marchandises ne suffisent pas. Ils insistent sur l’importance d’une prise de conscience de la population, notamment à travers les professionnels de santé dont le cursus universitaire ne comporte pour l'instant pas de sensibilisation au sujet.