C’est en observant les colonies de fourmis de son laboratoire, à l’université de l’Arizona, que le chercheur Daniel Charbonneau constate qu’environ 40 % d’entre elles restent totalement inactives. Et lorsqu’elles daignent s’activer, cela reste très modeste : un peu de soins dans la pouponnière ou de toilettage de leurs congénères. 
Selon une hypothèse courante, ces fourmis inactives constituent une sorte « d’armée de réserve » susceptible de prendre le relais des fourmis ouvrières. D’ailleurs, il y a aussi beaucoup de paresseuses parmi d’autres espèces industrieuses comme les abeilles. 
Pour confirmer l’hypothèse, le chercheur a peint des points de couleurs différentes sur la tête, le thorax et l’abdomen des fourmis de manière à les distinguer et à suivre leurs mouvements. Puis il a retiré de la colonie 20 % des insectes les plus actifs. Résultat : une semaine plus tard, ces fourmis avaient été remplacées par d’anciennes fourmis « au chômage ». C'est ce qu'il explique dans Plos One en date du 6 septembre. 

Cette expérience est la première confirmation empirique du rôle d’un réservoir de main-d’œuvre chez les fourmis. Le chercheur a ensuite procédé à l’expérience inverse, en extrayant le cinquième le plus pépère de la colonie – mais là, aucun changement, aucune ouvrière n’ayant déserté son poste pour remplacer une chômeuse.  

Inactives, mais indispensables

Les insectes étudiés ici appartiennent à l’espèce Temnothorax rugatulus, qui vit en altitude, par exemple sur le mont Lemmon, au nord-est de Tucson. Les hivers y sont rigoureux, si bien que les fourmis risquent d’être ensevelies sous la neige. Bien utile, en pareil cas, de disposer de remplaçantes pour les ouvrières disparues !
Mais les fourmis paresseuses pourraient aussi remplir une autre fonction, celle de garde-manger vivants. C’est ce que laissent supposer leurs abdomens proéminents. Des observations supplémentaires seront toutefois nécessaires pour déterminer si cette corpulence est une cause ou une conséquence de leur inactivité. 
Au-delà, le chercheur voudrait aussi tester une hypothèse plus audacieuse : les jeunes ouvrières, vulnérables et fertiles, resteraient d’abord peinardes, pondant des œufs et peut-être stockant de la nourriture. Plus âgées, elles prendraient la place des ouvrières au fur et à mesure des besoins de la fourmilière.