Extension du domaine de la lutte

Bruno Chauvel (Inra) : « L'ambroisie s'est propagée en Amérique avec les premiers colons. » Bruno Chauvel est chercheur dans l'unité « Biologie et gestion des adventices » de l’Inra (Dijon) et va diriger l’Observatoire de l'ambroisie.© Inra
Au Canada, l’ambroisie est aussi célèbre que le loup blanc. Surnommée « plante de l’été indien » ou moins joliment « herbe à poux », elle fait partie des fléaux avec lesquels la population compose depuis des siècles : les mouches noires en juin, les moustiques en juillet et le pollen de l’ambroisie qui, en août et septembre, provoque des allergies dont les symptômes sont identiques à ceux du « rhume des foins » (rhinite, écoulement nasal, conjonctivite, problème respiratoire, apparition ou aggravation de l’asthme dans 50% des cas).
Mais de notre côté de l’Atlantique, son nom évoque bien plus la nourriture des dieux de l’Olympe que cette plante herbacée arrivée d’Amérique il y a quelque cent-cinquante années et qui s’est répandue avec l’importation de sac de semences de trèfle puis de fourrage lors de la Première puis de la Seconde Guerre mondiale.


L'ambroisie à feuilles d'armoise est en progression vers le nord de la France, en région Bourgogne et Franche-Comté, et vers le sud de la France en Languedoc-Roussillon et Provence-Alpes-Côte-d'Azur.Un nombre significatif de populations commence également à être signalé en Alsace. © www.ambroisie.info

C’est seulement dans les années 1970 que les premières alertes à l’ambroisie furent lancées en France par des médecins lyonnais, surpris de recevoir dans leur cabinet des patients souffrant du « rhume des foins », c’est-à-dire d’une allergie aux pollens, au mois de septembre. Depuis, la situation s’est aggravée et l’ambroisie à feuilles d’armoise (qu’il ne faut pas confondre avec l’ambroisie maritime qui est une espèce rare ou avec l'armoise qui lui ressemble) a fait son chemin : elle est devenue un enjeu de santé publique dans la vallée du Rhône, une espèce gênante dans certains départements du Centre, du sud de la Bourgogne, de la Savoie, de Poitou-Charentes, et sa présence a été relevée en Alsace, sur la Méditerranée, en Bretagne… Et le problème n’est pas que national : toute l’Europe est concernée, la situation en Hongrie et Croatie étant particulièrement préoccupante.

Une plante hyper-allergisante

Raoul Harf, médecin : « Depuis vingt ou trente ans, les allergies ont doublé. » Interview de Raoul Harf, médecin au centre hospitalier Lyon-Sud et membre de l’association Afeda (Association française d'étude des ambroisies). © DR
Selon les zones où sévit l’ambroisie à feuilles d’armoise, 6 à 12% de la population exposée y est allergique. « Entre les villes de Vienne et Valence, où l’infestation par l’ambroisie est maximale, la prévalence serait même de 15 à 20% dans la population adulte », selon Raoul Harf, médecin au centre hospitalier Lyon-Sud et membre de l’association Afeda qui lutte depuis trente ans contre l’ambroisie. Au point que des habitants songent à déménager et que certains vacanciers délaissent la Drôme pour d’autres horizons. Car l’ambroisie cumule les désagréments : elle possède un pouvoir allergisant de niveau 5, soit le niveau le plus élevé sur l’échelle de mesure développée par le Réseau national de surveillance aérobiologique (RNSA). Et sa période de pollinisation est longue : elle dure de six à huit semaines, allant de la mi-août à octobre avec un maximum d’intensité en septembre (cette année, selon le modèle prévisionnel du RNSA, les premiers pollens d'ambroisie étaient attendus sur Lyon le 17 juillet).
Comme 60% à 70% des personnes sensibles à l’ambroisie sont également allergiques aux autres végétaux allergisants comme le bouleau, le cyprès et les graminées, elles doivent supporter des traitements plusieurs mois de l’année.
 

Une mobilisation tardive

Bruno Chauvel (Inra) : « Les facteurs qui favorisent la propagation de l'ambroisie sont multiples. » Bruno Chauvel est chercheur dans l'unité « Biologie et gestion des adventices » de l’Inra (Dijon) et va diriger l’Observatoire de l'ambroisie. © Inra
Alertés par la progression de l’ambroisie sur le territoire, trois députés ont formé en avril 2011 un « comité parlementaire de suivi du risque d’ambroisie » et le 1er juillet, le ministère de la Santé et l’Institut national de recherche agronomique (Inra) ont créé un Observatoire de l’ambroisie destiné à coordonner la lutte. Son objectif : mobiliser la population, les agriculteurs et les collectivités territoriales pour endiguer la progression de cette plante très allergisante qui, après s’être implantée dans la vallée du Rhône, a déjà conquis 52 départements.
« C’est trop tard », réagit Raoul Harf, « on n’arrivera pas à endiguer sa propagation et je pense que dans dix ou quinze ans, l’ambroisie sera présente à l’échelle nationale. »
Bruno Chauvel, qui appartient à l’unité « Biologie et gestion des adventices » de l’Inra et qui va diriger l’Observatoire est plus mesuré : « Eradiquer l’espèce aujourd’hui est en effet totalement illusoire, elle s’est naturalisée depuis cent-cinquante ans, on ne peut plus rien faire en certains endroits. Cependant, là où elle s’est implantée, on peut essayer de limiter les flux de pollen afin d’éviter que les gens soient malades et là où elle n’est pas encore arrivée, il est encore possible d’empêcher sa venue, à condition de s’en donner les moyens. »
 

Une plante pionnière, opportuniste, difficile à éradiquer

Bruno Chauvel (Inra) : « Il faut organiser et coordonner la lutte. » Bruno Chauvel est chercheur dans l'unité « Biologie et gestion des adventices » de l’Inra (Dijon) et va diriger l’Observatoire de l'ambroisie. © Inra
Contrecarrer la progression de l’ambroisie n’est pas chose facile. En effet, l’ambroisie s’implante facilement dans des milieux variés et sur des sols riches ou pauvres. Ses terrains de prédilection sont les parcelles cultivées, les terres laissées en friche, les gravas abandonnés sur les chantiers ou les travaux de terrassement, les bords de route, les berges inondables des rivières… Une fois en terre, les graines de cette plante annuelle peuvent se conserver plusieurs dizaines d’années. Une seule campagne d’arrachage permet de limiter la quantité de pollen dans l’air mais ne suffit donc pas à éradiquer définitivement la présence de la plante.
Par ailleurs, la diversité de milieux dans laquelle l’ambroisie est capable de s’implanter oblige à coordonner les interventions, c’est-à-dire à nettoyer simultanément le champ cultivé, le bord de route qui le longe et les territoires de la commune laissés un tant soit peu à l’abandon. L’efficacité de ces actions passe donc par une concertation entre les pouvoirs publics, les agriculteurs et l'ensemble des gestionnaires de milieux (notamment les parcs naturels).
Selon Bruno Chauvel, « l’idéal serait de faucher deux fois : une première fauche précoce, vers mai-juin, pour éviter la production de pollen et limiter les allergies, puis une seconde fois mi-septembre pour empêcher la plante de grainer et donc de se disséminer. Mais c’est un coût important pour les services des espaces verts. Et ces dernières quarante années, la première fauche a été privilégiée et l’espèce s’est propagée ».
À l’image de la loi anti-chardon qui impose d’éliminer les chardons avant le 15 juillet, date approximative de leur floraison et de la montée en graine, une proposition de loi anti-ambroisie est actuellement en cours d’élaboration.