Des centaines de barrages hydroélectriques : c’est le nouveau visage qu’offre le bassin amazonien. Et ce n'est pas tout, puisque la construction d'autres barrages est envisagée. Comment mesurer précisément les effets de telles constructions sur le système fluvial le plus vaste et le plus complexe au monde ? La production d’hydroélectricité présente-t-elle plus d’avantages que d'inconvénients ? Pour répondre à ces interrogations, une équipe internationale et multidisciplinaire réunissant dix universités, dirigée par l’université du Texas à Austin (États-Unis), a mis en évidence les zones de vulnérabilité de l'Amazonie brésilienne avec une précision inédite. L'étude est présentée dans la revue Nature du mercredi 14 juin.

Deux visions de l’Amazonie

Schématiquement, la construction de barrages à grande échelle est jugée selon deux points de vue diamétralement opposés. D’un côté, les peuples autochtones, soutenus par les organismes environnementaux tels que Greenpeace, estiment que ces installations détruisent la plus grande forêt tropicale au monde sans réelle justification économique. De l’autre, les autorités du pays, constatant les pénuries d’électricité, souhaitent accroître la production d'énergie. 

Des nuisances à évaluer

La plupart des évaluations réalisées jusqu'à présent ont porté sur les effets à l’échelle locale, à proximité des barrages. Mais, signalent les scientifiques, elles sont insuffisantes pour appréhender la complexité des interactions sur toute l'étendue de l’Amazonie, ainsi que les impacts environnementaux précis des barrages. L'écologue Edgardo Latrubesse, auteur principal de l’étude, et ses collaborateurs ont donc élaboré un nouvel outil permettant de déterminer les conséquences actuelles et attendues des barrages construits et projetés. Le résultat est un index très complet, le dam environnemental vulnerability index ou DEVI (index de vulnérabilité environnementale au barrage). Celui-ci quantifie, sur une échelle de 1 à 100, la vulnérabilité d’une zone aux changements possibles : utilisation des terres, érosion, pollution par les eaux de ruissellement, impact des sédiments piégés…

Le piégeage de sédiment, un paramètre sous-estimé

L'analyse de l'équipe montre la diversité des changements selon la région considérée et le nombre de barrages (actuels et futurs). Elle explore en particulier la vulnérabilité du système aux modifications dans les flux de sédiments, un problème majeur mais insuffisamment pris en compte, alors que ces flux peuvent affecter les régimes pluviaux et orageux de la région jusque dans le golfe du Mexique.
Le maintien des limons est par ailleurs essentiel pour préserver mangroves et forêts, qui abritent d’innombrables espèces et protègent terres et côtes des vagues déferlantes générées par les tempêtes. Car « le mouvement des rivières du bassin amazonien ressemble à une danse, en échangeant des sédiments à travers des distances continentales pour fournir des nutriments à de nombreuses zones humides », explique Edgardo Latrubesse.
Le bassin du fleuve Madère est la région la plus vulnérable, or le plus grand affluent de l’Amazone fournit quelque 50 % du sédiment total à ce système fluvial. Deux grands barrages construits dans la région ont déjà réduit de 20 % les sédiments de ce fleuve. Or 83 barrages supplémentaires sont planifiés ou en construction !

Dans la région du fleuve Tapajos, les Munduruku – la population indigène – ont réussi, grâce à une forte mobilisation internationale, l’été dernier, à interrompre la construction d’un méga-barrage. Mais cette victoire emblématique n’empêchera pas la région de subir d’énormes impacts hydrologiques en raison des 90 barrages en projet et des 28 autres déjà installés le long de ses affluents.