L’acide folique contre le risque d'autisme
On savait que la prise d'acide folique avant et après la grossesse réduisait les risques de malformation du système nerveux du foetus. Une étude norvégienne réalisée sur une grande cohorte révèle que cette vitamine réduit aussi le risque d’autisme. En France, un tel résultat pourrait conduire à renforcer la prescription d'acide folique aux femmes désireuses d'avoir un enfant.
Véronique Marsollier - Publié le
Une complémentation en acide folique ou vitamine B9 - durant quatre semaines avant la conception et huit semaines après - réduirait les risques d’autisme de 40 % : c’est ce qu’indique une étude norvégienne de grande ampleur parue le 13 février dans The Journal of the American Medical Association (JAMA).
Depuis l’an 2000, la Direction générale de la santé recommande aux femmes de prendre chaque jour 0,4 mg de vitamine B9, quelques semaines avant et après la conception afin de prévenir des malformations du système nerveux du fœtus, et en particulier des anomalies du tube neural. Les scientifiques soupçonnaient aussi qu’une carence pouvait être liée à l’autisme.
L'autisme, des facteurs mal connus
Au stade actuel de la recherche, les causes de l'autisme seraient à 15% d'origine génétique et 85% de cause inconnue, les facteurs environnementaux jouant sans doute un rôle. Les scientifiques ne savent donc pas encore précisément ce qui provoque l'autisme, ni à quel moment ce trouble se déclenche. Mais ils supposent que des carences alimentaires pourraient être en cause.
Pour valider cette hypothèse, les chercheurs norvégiens ont étudié une population de 85.176 enfants nés de mères ayant pris de l'acide folique dès quatre semaines avant la conception et huit semaines après (soit 61.042 mères) ou, au contraire, de mères sans supplémentation folique (24.134 mères). La proportion d’entre eux souffrant de troubles autistiques atteint 0,10 % (64 enfants) dans le premier cas, mais 0,21 % dans le second cas (50 enfants). Autrement dit, la prise d’acide folique durant douze semaines divise par deux le risque de donner le jour à un enfant autiste. En outre, « cette étude renforce l’hypothèse selon laquelle l’autisme apparaît de manière très précoce », précise le Dr Eric Lemonnier, pédopsychiatre, clinicien au CHU de Brest et spécialiste de l’autisme.
Une étude réalisée en Californie entre janvier 2003 et décembre 2009, parue en juillet 2011 dans la revue Epidemiology, aboutissait à des résultats similaires sur les liens entre acide folique et autisme, mais l'étude portait sur un nombre de familles plus restreint.
Supplémentation médicale ou alimentaire ?
Augmenter la prise d’acide folique par les femmes en âge de procréer pourrait donc constituer une solution simple pour réduire le nombre de cas d’autisme et d’anomalies du tube neural.
À l’heure actuelle, la prescription de vitamine B9 est préconisée par l’Inpes (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé) et théoriquement mise en œuvre dans le cadre du Programme national nutrition santé. Or près des trois quarts des femmes en âge de procréer ont des apports alimentaires en folates inférieurs à ceux recommandés. Pis : les chiffres des autorités sanitaires indiquent que plus de la moitié des femmes ayant un enfant n’ont pas reçu d’acide folique, les autres ayant certes bénéficié d'une supplémentation, mais tardive par rapport aux recommandations.
Un phénomène qui s'explique aisément, indique le secrétaire général du Collège national des gynécologues-obstétriciens de France, Philippe Deruelle : « La supplémentation précoce en acide folique est d’autant plus difficile à mettre en place que, bien souvent, les femmes consultent lorsqu’elles sont déjà enceintes. En outre, d'autres, qui prennent de l'acide folique avant la conception, abondonnent en cours de route ».
Ailleurs, comme aux États-Unis et au Canada, les gouvernements ont opté pour une politique plus radicale. Depuis 1998, les farines et certains aliments y sont enrichis en acide folique. Pourquoi ne pas appliquer une telle mesure en France ? « La supplémentation telle que pratiquée en France semble en effet moins efficace que la voie alimentaire », indique le professeur Philippe Derruelle. « Toutefois, il est légitime de soulever la question des effets indésirables sur la santé d’une supplémentation qui touche toute la population ».
La supplémentation en acide folique, un choix discuté
Les doutes du docteur Philippe Deruelle font écho à une préoccupation grandissante quant aux possibles effets délétères d’une supplémentation systématique en vitamine B9, notamment en Amérique du Nord. Plusieurs études scientifiques soulèvent cette question dans The American Journal of Clinical Nutrition dès 2007 et, à nouveau, en 2008 ou encore en 2009 dans Current Opinion in Clinical Nutrition & Metabolic Care.
En effet, en raison de l’enrichissement systématique des aliments en acide folique aux États-Unis et au Canada, la population ingère de l’acide folique sans en avoir le choix. Seule la recherche académique s’est emparée de cette question et s’interroge sur les éventuels effets indésirables. Ainsi, la question de savoir si une fortification en acide folique peut prévenir ou, au contraire, favoriser des cancers n’est pas encore tranchée, s’interroge un article paru dans An International Journal of Gastroenterology and Hepatology. Tant que les effets et modes d’action de l’acide folique n’ont pas été clarifiés précisément, la prudence devrait donc rester de mise.
Car, comme d’autres substances, l’acide folique pourrait entraîner des effets indésirables s’il est consommé en excès. Au-delà de 10 mg par jour de supplémentation en vitamine B9, des complications peuvent apparaître : insomnies, excitation, hyperactivité, nausées, ballonnements, problèmes de goût, réactions allergiques. De manière indirecte, un apport quotidien de plus de 1 mg seulement peut être néfaste, car il complique la détection d’une carence en vitamine B12 appelée aussi anémie pernicieuse. Or, non traitée, cette anémie peut provoquer des problèmes neurologiques graves et irréversibles. L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et le Food and Nutrition Board américain ont donc fixé l’apport maximal tolérable à 1 mg par jour chez l’adulte pour l’acide folique provenant de suppléments. Le CDC (Centers for disease control), l’institution américaine dédiée à la protection de la santé de la population, recommande une prise journalière de 0,4 mg chez les femmes en âge de procréer. Ce dosage devrait permettre de diminuer les risques de malformations congénitales du fœtus chez la femme enceinte tout en prévenant des effets secondaires. Mais d'autres études sont nécessaires pour trancher un débat aux lourdes conséquences en termes de santé publique.