Veut-il sa peluche ou me raconte-t-il sa journée ? Pour comprendre un bébé, il faut souvent faire appel au contexte. C’est également vrai chez les bonobos. Une équipe de l’université de Birmingham et de l’Institut de biologie de Neuchâtel montre en effet, dans la revue PeerJ, que ces grands singes produisent des sons très comparables à ceux des jeunes humains : des sortes de gazouillis dont l’interprétation par les autres bonobos ne peut s'effectuer qu'en fonction du contexte.

Affaire de contexte

On pensait jusque-là que les animaux associaient un son spécifique à chaque situation et à chaque information à transmettre : on parle de cris à fonctionnalité fixe. Chez les humains, le rire traduit ainsi l’amusement et des pleurs, un inconfort ou une détresse. Mais les autres sons, en particulier les vocalisations des enfants, peuvent être émis indépendamment du contexte pour signifier tout un éventail d’émotions : ils ont une fonctionnalité flexible.
Les bonobos utilisent jusqu’à 15 types de sons, la plupart liés à une situation émotionnelle précise : le rire haletant, le cri d’alarme, le grognement de soumission ou l’aboiement d’attaque, le hululement de compétition, etc. Mais le son le plus fréquent, le gazouillis émis bouche fermée, semblait déroger à cette règle.

Pour le confirmer, les chercheurs ont suivi 39 bonobos sauvages de tous âges au Congo. Ils ont collecté jusqu’à onze heures d’enregistrement par individu, dont 128 gazouillis. Comme les vocalisations des enfants humains, ces courts sons à haute fréquence sont émis avec une expression faciale neutre, compatible avec des contextes empreints d’émotions positives (se nourrir), négatives (agression, compétition) ou neutres (se déplacer, se reposer).

Un son qui signe son sens

Les scientifiques n’ont détecté aucune variation acoustique entre les sons émis dans des situations neutres ou positives : le contexte est donc indispensable pour les distinguer, créant du lien social entre les bonobos qui émettent les gazouillis et ceux qui les comprennent.
En revanche, les gazouillis présentent une signature acoustique spécifique lorsqu’ils expriment une émotion négative, ce qui les rend reconnaissables hors contexte : ils sont en particulier plus courts et avec une fréquence fondamentale plus haute. L’étude note qu’une même signature spécifique doit se retrouver également dans les cris humains traduisant l’anxiété, ce qui a été montré dans une étude publiée le 16 juillet dernier.

Un langage intermédiaire

Pour produire les gazouillis négatifs, le même volume d’air utilisé dans les autres gazouillis passe plus vite dans les cordes vocales, augmentant la fréquence en diminuant la durée du cri. Pour être capable de cette adaptation, le bonobo doit disposer d’un système vocal adapté. La flexibilité fonctionnelle a donc dû apparaître au cours de l’évolution d’abord dans des situations neutres ou positives.
Comme elle apparaît aussi chez l’Homme, cette capacité à émettre des sons identiques pour signifier plusieurs émotions doit venir d’un ancêtre commun aux bonobos et aux êtres humains. Les gazouillis des bonobos, nos plus proches cousins génétiques, correspondent ainsi à un stade intermédiaire entre les cris à fonctionnalité fixe de la plupart des animaux et la flexibilité fonctionnelle des humains.