Image retirée.
Le hall du réacteur de l'Institut Laue-Langevin, à Grenoble. © Wikimedia commons/Nerd bzh

Qui dit « réacteur » ne dit pas forcément « production d’énergie ». Et ici, à l’Institut Laue-Langevin (ILL) situé à Grenoble, le réacteur produit exclusivement des neutrons à des fins scientifiques. Il s’agit même de la source neutronique la plus puissante au monde. Créé il y a presque 50 ans, cet organisme de recherche publique est le fruit de l’association de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni. À leurs côtés, douze autres pays sont membres scientifiques de l’Institut. Participant à son financement, ils peuvent bénéficier des installations.
Mais impossible de tout visiter. Répartis en étoile autour du réacteur, pas moins de 40 instruments – installés dans d’immenses halls – bénéficient de cette source neutronique exceptionnelle.

Qu'est ce qu'un neutron ?

Les neutrons sont présents dans le noyau des atomes. Ce sont des particules neutres, liés à des protons par une interaction forte. Les neutrons liés dans un noyau atomique sont en général stables alors que les neutrons libres sont instables : ils se désintègrent en un peu moins de 15 minutes. Dans le réacteur de l'ILL, les neutrons libres sont produits par des opérations de fissions nucléaires.

D22 et la graine du moringa


Un arbre moringa avec des cosses contenant les graines © ILL

Parmi ces instruments, un LSS (Large Scale Structure), baptisé « D22 », est situé dans le hall 2, qui  sert à réaliser des mesures comprises entre 1 et 100 nanomètres. Il y a quelques mois, une équipe suédoise de chercheurs de l’université d’Uppsala a obtenu des résultats intéressants en observant dans cet instrument les graines d’un arbre africain, le moringa.
Originaire d’Inde mais poussant aussi en Afrique, le moringa (Moringa oleifera) retient l’attention des scientifiques depuis plusieurs années. Sa graine, aux multiples propriétés, pourrait être utilisée à grande échelle pour purifier l’eau dans les pays en développement, se substituant ainsi aux produits chimiques onéreux et polluants actuellement employés, à l’instar des sels d’aluminium. En effet, cette graine a des propriétés antibactériennes et contient des protéines au pouvoir « floculant » : elles agrègent les particules en suspension dans l’eau pour les éliminer par sédimentation ou filtration. Associés à d’autres Européens, Américains et Africains, les chercheurs suédois étudient depuis plus de deux ans le mécanisme à l’origine de cette floculation.

Transport de neutrons

Les neutrons émis par le réacteur sont tout d’abord ralentis à de plus faibles énergies. Ensuite, ils traversent une série de dispositifs optiques et mécaniques, dont beaucoup ont été développés puis améliorés par l’ILL. Les guides de neutrons peuvent transporter les neutrons vers les instruments sur des distances pouvant aller jusqu’à 100 m. Source : ILL

La diffusion neutronique


Le coeur du réacteur de l'ILL © ILL

Lorsque les neutrons – des particules neutres, c’est-à-dire sans charge électrique – interagissent avec les matériaux, ils se comportent comme des ondes. Ces ondes sont caractérisées par leur longueur, leur amplitude et leur direction de propagation : des données ensuite analysées par les détecteurs de neutrons, technologie de pointe à l’ILL. En fonction de la technique neutronique utilisée, les mesures obtenues fournissent des informations sur la structure et la dynamique de l’échantillon étudié. Dans le réacteur de l'ILL, les neutrons libres sont produits par des opérations de fission nucléaire. Ils sont instables et se désintègrent en un peu moins de 15 minutes. Lorsqu’ils sont présents dans le noyau des atomes, en revanche, les neutrons sont liés à des protons par une interaction forte. Ils sont alors stables.


Viviana Cristiglio © DR

Un peu plus loin, dans le hall 2 toujours, une jeune physicienne spécialiste des matériaux, Viviana Cristiglio, accompagnée de ses coéquipiers, travaille sur un tout autre sujet : l’impact du stockage sur la conservation des médicaments. En effet, de nombreux médicaments protéinés sont stockés par lyophilisation, à très basse température (-40 °C), avant d’être reconstitués à température ambiante en forme de solution aqueuse. Ce stockage ne garantit pas nécessairement à long terme la stabilité des principes actifs. Or les laboratoires n’ont, en général, pas les moyens d’étudier les changements qui affectent les médicaments à l’échelle atomique, voire nanométrique, lors de ces changements de température. L’enjeu est pourtant crucial pour la stabilité et donc la sûreté de ces produits.
Un dispositif assez spectaculaire, le lévitateur acoustique (Single-axis Acoustic Levitator ou SAL), acquis en octobre 2012 par l’ILL, autorise de telles analyses. En effet, il permet de manipuler des échantillons solides et liquides par lévitation acoustique, et donc sans aucun contact : placés en haut et en bas, deux cylindres produisent des ondes acoustiques qui maintiennent en suspension l’échantillon étudié. Ces ondes se déploient sous un flux d’azote, un gaz inerte – contrairement à l’air – qui n’affecte donc pas l’échantillon. Le faisceau neutronique traverse perpendiculairement l’échantillon en lévitation, puis un détecteur décrypte et analyse sa structure. Dans un premier temps, l’expérience est réalisée sur une protéine modèle : le lysozyme, que l’on retrouve dans le blanc d’œuf.

Une fois l’expérience affinée, ce sont des protéines de médicaments qui trouveront place dans le SAL. Viviana Cristiglio explique : « En général, lorsqu’on veut étudier l’effet d’agrégation, on est gêné par le fait que les parois du container dans lequel se trouve l’échantillon peuvent produire des germinations parasites qui ne sont pas liées au produit. En revanche, sur un échantillon en lévitation, on observe strictement l’organisation structurelle des protéines et non pas un phénomène parasite ». Les premiers essais ont été concluants, selon Viviana Cristiglio, mais nous n’en saurons pas plus. L’étude n’est encore qu’en phase préliminaire…
Dans quelques mois, la jeune femme laissera sa place à d’autres scientifiques. Car chaque année, ce sont quelque 1500 chercheurs qui réalisent plus de 800 expériences à l’ILL.