Petite graine originaire des Andes, le quinoa se retrouve dans nos assiettes depuis une dizaine d'années. Mais pour les peuples de l’Altiplano, la « mère de tous les grains », comme elle est surnommée, constitue une base de l'alimentation depuis des millénaires. Or sa production et son rôle dans les sociétés pré-hispaniques restaient mal connus... Les travaux d'une équipe franco-argentine réunissant l’IRD, le CNRS et le CONICET (l'équivalent du CNRS en Argentine) apportent un éclairage inattendu sur cette culture ancestrale, dans un article paru dans la revue Science Advances du 20 décembre.

Un climat défavorable, et pourtant...

Ce qui éveille tout d’abord la curiosité des chercheurs, c'est la découverte de graines de quinoa vieilles de plus de 600 ans dans des silos de la région du Salar d’Uyuni, sur les hauts plateaux, dans le sud-ouest de la Bolivie (entre 3700 et 4200 mètres d’altitude). À cela s'ajoute l’identification de plus de 4500 greniers destinés à la conservation du quinoa dans 48 villages archéologiques datant de la période pré-hispanique, du XIIIe au XVe siècles. Un chiffre très élevé qui « témoigne de la capacité des sociétés pré-hispaniques à générer d’importants excédents agricoles », analyse Thierry Winkel, agro-écologue à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Il s'agit d'un constat plutôt étonnant dans ces contrées désertiques de haute montagne, peu propices à l’agriculture. D’autant plus que le climat, à l'époque, très sec, se refroidit fortement. Comment expliquer, donc, cet essor de la culture du quinoa ? Les populations semblent précisément avoir réagi à la dégradation climatique en intensifiant leur production de quinoa, même sans irrigation, comme le montrent les vestiges de parcelles cultivées retrouvées par l’équipe sur des milliers d’hectares. Cela témoigne des capacités d’adaptation de ces peuples anciens organisés en petites communautés non hiérarchisées. Les murets de pierre subsistants, qui délimitent les terrasses, freinent quant à eux l’érosion du sol et permettent à l’eau de s’y infiltrer. La pratique de jachères deux fois par an permet aussi la constitution de réserves d’eau indispensables à la culture.

Savoirs ancestraux et mécanisation 

« C’est une connaissance fine du milieu et des techniques durables qui a permis d’accroître les récoltes et donc de les stocker pour les années difficiles, ou d’échanger ces surplus avec les habitants des régions voisines, précise Thierry Winkel. En échange de sel et de quinoa, ces populations ont pu se procurer du maïs, de la coca, du bois, mais aussi des plumes d’oiseaux tropicaux. » Ces pratiques sont encore utilisées dans les Andes, mêlées aux techniques modernes, comme le recours aux tracteurs pour étendre les cultures ou aux machines pour trier et mettre en sac les graines. « Cet exemple d’adaptation aux changements climatiques passés montre que les populations locales ont les moyens de faire face au réchauffement à venir », souligne avec optimisme le chercheur. Par ailleurs, les conclusions de l’étude corroborent les recherches récentes sur les Mayas d’Amérique centrale et les Pueblos des États-Unis.