Il y a voir... et voir

La Grande Vague de Kanagawa (Hokusai) Hokusai est considéré comme l'un des plus grands peintres japonais. Voici ce qu'il disait à propos de son travail : « Depuis l'âge de 5 ans, j'ai la manie de recopier la forme des choses […]. Cependant je n'ai rien peint de notable avant d'avoir 70 ans. À 73 ans, j'ai assimilé légèrement la forme des herbes et des arbres, la structure des oiseaux et d'autres animaux, insectes et poissons ; par conséquent à 80 ans, j'espère que je me serai amélioré et à 90 ans que j'aurai perçu l'essence même des choses, de telle sorte qu'à 100 ans j'aurai atteint le divin mystère et qu'à 110 ans, même un point ou une ligne seront vivants. » © Hokusai

« Fabrique-lui une rétine artificielle... » La demande vient d'un père dont la fille est née aveugle. Elle est adressée à un frère, un scientifique uruguayen installé dans le laboratoire Ishikawa Komuro, au cœur de la prestigieuse université des sciences de Tokyo. « Il voulait que je lui rende la vue, se souvient Alvaro Cassinelli, mais l'œil est un organe si complexe. Cela dépassait largement ce qu'il m'était possible de créer. Alors j'ai réfléchi. » Réfléchi et trouvé.

Trouvé qu'il y avait plusieurs façons de voir les choses. Un coup d'œil sur le règne animal (ciliés, insectes) suffit pour s'en rendre compte : « Voir, c'est avant tout être capable de percevoir assez d'informations du monde extérieur pour se mouvoir, » explique Alvaro Cassinelli. De ce point de vue, les couleurs, les détails, les textures sont des données superflues, les raffinements d'un monde que l'évolution sensorielle n'a cessé de rendre toujours plus baroque. Mais si l'on parcourait le chemin évolutif à l'envers, si l'on devait, à la façon d'un Hokusai, épurer les lignes du monde pour ne garder que le nécessaire, que resterait-il ? « Les courbes, les formes, tout ce qui permet en fait d'établir un relief et donc un itinéraire pour aller d'un point A à un point B. » Et là, d'un coup, l'action se simplifie.

Prise de distance

Surtout quand, en sus d'être un spécialiste des interfaces homme-machine, on est un maître des lasers. Des lumières monochromatiques que le chercheur manipule pour commander aux logiciels ou aux écrans mous, pour créer des œuvres d'art ou dessiner dans les airs. Un particularisme qui explique l'essence même d'un projet que Carson Reynolds, du Massachusetts Institute of Technology (MIT), collaborateur et compagnon de bureau d'Alvaro Cassinelli, se propose de montrer en fibres et en puces.

Direction les sous-sols du bâtiment et l'atelier que Carson Reynolds traverse en six enjambées. En haut d'une étagère métallique, il cueille une tête en polystyrène blanc, aux trois quarts recouverte par une sorte de cagoule noire. « Voilà l'un des prototypes que nous avons mis au point. » Il pose la trogne bicolore sur l'établi et se saisit d'un petit système électronique. « A l'intérieur de cette cagoule, nous avons placé des capteurs. » Le système en question a des allures de maki. Sauf qu'il est plat, rectangulaire, noir et « trouillard » : à chaque fois que quelque chose s'en approche, il se met en effet à trembler. Et ce d'autant plus vivement que la menace se rapproche. La faute à une petite lumière laser, un capteur, qui renseigne l'appareil sur la distance des choses.

Un nouveau sens

Du poil au poil laser © Laboratoire Ishikawa Komuro

« Mis au contact de la peau, ces dispositifs peuvent agir comme de longues antennes et se mettre à vibrer si quelque chose est détecté, précise Carson Reynolds. A partir de là, il devient possible d'engendrer une méta-perception, autrement dit d'accroître le nombre de nos sens... Imaginez si nous pouvions porter ce type de capteurs sur la totalité de notre corps, nous aurions alors une conscience corporelle de notre environnement ! » Mais avant d'en arriver là – et puisqu'initialement, il s'agissait quand même de retrouver la vue – les chercheurs ont commencé par poser leurs « poils laser » sur une tête.

« Ou plutôt tout autour d'une tête, celle d'un étudiant auquel nous avions préalablement bandé les yeux, raconte Alvaro Cassinelli. Je vais vous montrer. » Et en guise de démonstration, le vibrionnant chercheur lance une vidéo.

Un jeune Japonais, yeux bandés, une curieuse couronne noire sur la tête, esquive balles, mains et coudes comme un Luke Skywalker qui maîtriserait la force, qui verrait... sans utiliser ses yeux. « Le plus étonnant, c'est qu'il n'y a pas de période d'apprentissage pour maîtriser ce dispositif. Un objet vous arrive par la droite, le radar de droite vibre et, instinctivement, vous éloignez le visage. » Aussi simple qu'efficace.

Pour percevoir sans apprendre

Le radar tactile : pour augmenter les capacités sensorielles des personnes voyantes ? © Laboratoire Ishikawa Komuro,

Si efficace même que, l'année dernière, lorsque Eliana Sampaio, de la chaire Handicap du CNAM, à Paris, a essayé le dispositif lors du Laval Virtual (en Mayenne), elle n'en a tout simplement pas cru ses sens : « Cela m'a ramené des années en arrière, alors que je travaillais avec de jeunes enfants aveugles. » C'était terrible, se souvient-elle, car ils n'arrêtaient pas de se cogner la tête partout. « J'ai alors pensé leur mettre un bonnet avec plein d'antennes sur la tête... afin qu'ils puissent anticiper la présence d'obstacles. J'y ai pensé puis je me suis ravisée : je ne voulais pas les transformer en monstres ; leur insertion était déjà assez compliquée comme ça... » On imagine son émotion lorsque, là, en plein milieu d'une rencontre entre professionnels des nouvelles technologies, Alvaro Cassinelli lui a posé son radar tactile sur la tête. « C'était incroyable. Il avait trouvé le moyen d'exhausser mon vœu ! »

Et voilà comment, cet été, une quarantaine d'aveugles brésiliens se sont retrouvés affublés du radar tactile pour un test grandeur nature. Un test dont les résultats électrisent encore Eliana Sampaio : « Les sujets ont pris leurs marques en quelques minutes... évitant des obstacles ou des panneaux situés en hauteur. » Bien sûr, ce dispositif nécessite quelques ajustements (dont un bouton d'arrêt lorsque la personne se déplace au milieu d'une foule). Bien sûr, le radar tactile ne remplacera pas la canne blanche. Bien sûr, il faut encore travailler, notamment pour diminuer les coûts de production et rendre l'appareil financièrement accessible. Mais, pour Eliana Sampaio, le principal relève déjà de la certitude : le radar tactile ne restera pas un "jouet de laboratoire".

Voir avec la langue

Une autre approche aujourd'hui imaginée pour faciliter la vie des non-voyants.

<div><a target='_blank' title='Voir avec la langue' href='http://www.universcience-vod.fr/media/883/voir-avec-la-langue.html'>Voir avec la langue<br /></a><br /><p>Le <a href='http://www.universcience-vod.fr//index.php/tag/cnam.html'>CNAM</a> , en collaboration avec l&rsquo; <a href='http://www.universcience-vod.fr//index.php/tag/institut-de-la-vision.html'>institut de la vision</a> , teste un dispositif in&eacute;dit &agrave; l&rsquo;attention des aveugles : celui-ci permet de voir ou plut&ocirc;t de ressentir une <a href='http://www.universcience-vod.fr//index.php/tag/image.html'>image</a> avec un autre organe que les <a href='http://www.universcience-vod.fr//index.php/tag/yeux.html'>yeux</a> , en l&rsquo;occurrence la <a href='http://www.universcience-vod.fr//index.php/tag/langue.html'>langue</a> !</p></div>