Voilà une conférence sur les nouvelles technologies que les spécialistes et utilisateurs des communications sans fil ne sont pas prêts d’oublier. C’était en juillet 2011 à Édimbourg, capitale de l’Écosse, lors d’un TED, l'une de ces conférences dédiées aux thématiques scientifiques et aux nouvelles technologies organisées partout dans le monde depuis 1984. Devant une salle médusée, Harald Hass, un professeur de communication mobile, déclenche la lecture d’une vidéo HD sur son smartphone en le passant sous une lampe. La technologie Li-Fi (Light-Fidelity) fait ainsi ses débuts auprès du grand public ! Depuis, ses déclinaisons et ses perspectives de commercialisation se multiplient, avec un enjeu de taille : proposer une alternative au très réputé Wi-Fi.
Depuis quatre ans, une équipe du Leti, un laboratoire du CEA-Tech de Grenoble spécialisé dans les microtechnologies, nanotechnologies et dans les communications sans-fil, développe la technologie Li-Fi, en partenariat avec la société Luciom. Grâce à leur collaboration, la technologie est passée du bas débit et d’une transmission à sens unique – d’une lampe vers un utilisateur –, à un système haut débit bidirectionnel.

Un signal lumineux ultra-puissant


Le procédé de communication du Li-Fi est très simple. « Le point de départ c’est le luminaire. C’est un objet familier que tout le monde connaît et qui peut prendre différentes formes : un plafonnier, un spot, etc. »explique Martin Gallezot, le chercheur à la tête de l’équipe du Leti. La technologie ne marche qu’avec un éclairage LED (light-emitting diode, en anglais), la seule source lumineuse capable de réaliser un morse optique aussi rapide : plus de dix millions de clignotements par seconde. C’est ce signal lumineux qui remplace les fameuses ondes électromagnétiques utilisées dans la technologie Wi-Fi. Mais ce puissant signal ne serait rien sans un modem. « C’est lui qui envoie l’information à la LED et qui sert à moduler et démoduler le signal, précise Martin Gallezot. À l’autre bout, on trouve un récepteur. Un petit boîtier relié en USB à un ordinateur, une tablette ou un smartphone qui transmet la connexion. Ce dernier contient un récepteur qui va recevoir le signal, mais aussi un émetteur qui va permettre d’envoyer des informations vers le réseau. Il s’agit bien d’un lien bidirectionnel. »

Martin Gallezot, ingénieur chercheur au CEA-Tech de Grenoble détaille le fonctionnement techniques du Li-Fi.

Sans interférences, puissant et sécurisé

La technologie Li-Fi possède de nombreux avantages. D’abord, elle transforme nos luminaires en outils de communication sans fil, ce qui implique un gain d’énergie et une économie d’électricité non négligeable. Elle possède aussi un autre intérêt. Face à la multiplication des systèmes de communication sans fil (Wi-Fi, 3G, 4G, etc.) et l’explosion de la demande de bande passante induite par le boom de la télévision en ligne, du streaming et la quantité croissante d’appareils fixes et mobiles connectés, les réseaux sont très souvent saturés. En 2015, Andrew Ellis, professeur britannique de l’université d’Aston à Birmingham, spécialisé dans les communications optiques, avait d’ailleurs fait le buzz en prédisant la fin de l’Internet pour 2023. En utilisant une toute nouvelle bande de fréquences, le Li-Fi garantit une bande passante optimale sans interférences. Son spectre est également 10 000 fois plus large que celui des ondes radio. De quoi établir une connexion partagée efficace et sans coupure pour une dizaine de personnes utilisant le même luminaire.
« Le débit pourrait atteindre jusqu’à 100 Mbit/s d’ici quelques années », promet Martin Gallezot. Une performance non négligeable puisque nos connexions Wi-Fi, dans des conditions optimales, sont capables de servir un débit maximum d’environ 50 Mbit/s. Enfin, dernier avantage, la sécurité des données. « Le premier élément qui rend la transmission sécurisée est que les données ne circulent que dans le cône de lumière. Si vous sortez de ce cône, vous n’avez plus accès aux données. Le deuxième élément est que le modem est fait de telle façon qu’il ne rayonne pas, contrairement à un modem classique. On ne peut donc pas intercepter des données à proximité », explique Denis Marsault. Et ce dernier d’ajouter : « Nous avons déjà des demandes de sites industriels qui, pour des raisons de sécurité, ne peuvent pas avoir du Wi-Fi potentiellement piratable ».   

Des géoservices novateurs 

Le Li-Fi est pour l’instant déjà disponible dans des lieux grand public dans sa version géoservices. « La lumière envoie un code sur la caméra de votre smartphone. Ce dernier déchiffre ce signal et le transforme en un point de géolocalisation. Il n’y a pas besoin de connexion Internet », explique Denis Marsault. Combiné aux capteurs gyroscopiques présents dans les smartphones et les tablettes, le Li-Fi permet de prévoir les mouvements entre deux balises et de donner à l’utilisateur une position très précise. Une fonction particulièrement novatrice. Les GPS de nos smartphones sont aujourd’hui bien incapables de nous localiser au mètre près en intérieur.

Denis Marsault, chargé du développement commercial et marketing de la société Luciom, détaille les deux déclinaisons du Li-Fi disponibles actuellement.

Des contenus multimédias et olfactifs 

En France, les utilisations du Li-Fi « géoservices » se multiplient. Il sert notamment à guider des clients dans un magasin, leur proposer des contenus publicitaires personnalisés, informer des visiteurs dans un musée ou encore guider des touristes dans une gare. À Palaiseau, dans le département de l’Essonne, le Li-Fi a été installé dans 77 lampadaires du quartier Camille Claudel. La collectivité peut ainsi diffuser des informations aux citoyens directement sur leur mobile : événements, horaires de la piscine, promotions des commerçants du quartier, etc. Certaines utilisations sont parfois totalement inattendues. La société Luciom et le Musée international de la parfumerie de Grasse ont collaboré pour mettre en place une expérimentation révolutionnaire. Le Li-Fi leur permet de proposer des services olfactifs. Un micro diffuseur d’odeur se déclenche par une présence sous le LED Li-Fi.

Au service de la santé publique 

Le Li-Fi, dans sa déclinaison Internet, est lui déjà utilisé dans certains lieux de service public. En 2016, l’hôpital de Perpignan a ainsi été le premier à s’être équipé de ce nouveau système, de manière à réduire le niveau des ondes électromagnétiques, jugées potentiellement cancérigènes par l’OMS. Résultat, selon l’hôpital : un niveau de 269 millivolts par mètre d’ondes électromagnétiques mesuré avec le Li-Fi contre 3 volts par mètre dans les parties où fonctionne encore le Wi-Fi. L’hôpital prévoit de généraliser le procédé dans le courant de l’année 2016.
Pour le moment, la déclinaison Internet du Li-Fi n’est pas encore accessible pour les particuliers. Selon Denis Marsault, « s’équiper de la technologie Li-Fi Internet représente un coût de plusieurs milliers d’euros. Il faudra patienter encore un ou deux ans environ, pour que les particuliers puissent s’offrir cette technologie chez eux ». En attendant, l’équipe de Martin Gallezot et la société Luciom continuent de collaborer étroitement pour améliorer le Li-Fi. Objectifs principaux : augmenter le débit et diminuer la taille et les coûts des différents matériaux qui composent le système, notamment le modem.

Graham Bell, un précurseur 

La modernité de la technologie Li-Fi nous ferait presque oublier d’anciennes découvertes utilisant déjà le spectre lumineux. En 1880, le célèbre scientifique et inventeur du téléphone, Alexander Graham Bell, met au point le photophone, un appareil permettant de transmettre la lumière sur une distance de près de 200 mètres. Sans le savoir, Graham Bell et Charles Sumner Tainter, lui aussi inventeur de renom, viennent de mettre au point un système qui utilise de très près les principes de base de la technologie Li-Fi.

Dans les années 1990, les premières télécommandes infrarouges vendues sur le marché fonctionnent aussi sur la base d’un échange lumineux. Sans oublier nos vieux smartphones qu’il était nécessaire de rapprocher pour effectuer un transfert de fichier. Le procédé utilisé s’appelait l’iRda (Infrared Data Association, en anglais).
À la même époque, une autre technologie tout aussi lumineuse va tout révolutionner :  la diode électroluminescente que l’on appelle plus communément ampoule LED. Mise au point par le scientifique américain d’origine japonaise, Shuji Nakamura, elle bouleverse nos technologies et même nos modes de vie. Automobile, éclairage urbain, usages dans la marine et l’aéronautique... l’émetteur du futur Li-Fi est en pleine effervescence. Naturellement, c’est au Japon, au début des années 2000, que les premières expérimentations du Li-Fi sont réalisées. En France, en 2012, Suat Topsu, chercheur à l’Université de Versailles–Saint-Quentin en Yvelines, fondateur de la société Odelcomm, est le premier à médiatiser cette technologie.