Acte barbare voire archaïque pour certains, indispensable pour d’autres, l’autopsie est une intervention souvent mal vécue par les familles et par certaines communautés religieuses. En Grande-Bretagne où l’autopsie est un acte fréquent (22% des décès), un hôpital de Manchester s’est doté d’un équipement IRM entièrement dédié à des examens post mortem. Dans cet hôpital, désormais seuls 10% des cas examinés par IRM font ensuite l’objet d’une autopsie.
Cependant, peu d’études ont cherché à comparer la fiabilité des diagnostics posés. Celle publiée le 22 novembre 2011 dans The Lancet est la première d’importance sur le sujet. Elle porte sur l'examen de 182 corps et ses résultats sont plutôt mitigés : dans plus de 30% des cas (32% pour le scanner et 48% pour l’IRM) le diagnostic des radiologues diverge de celui des médecins ayant pratiqué les autopsies. Les erreurs de diagnostic de l’imagerie portent principalement sur la difficulté à identifier les embolies pulmonaires et certains accidents vasculaires.
Malgré cela, l’idée de remplacer l’autopsie par des actes d’imagerie est dans l’air du temps : elle a même donné naissance à un nouveau mot, celui de « virtopsie » pour autopsie virtuelle. En France où l’autopsie est devenue une pratique marginale (3% des décès), la virtopsie présente-t-elle un intérêt ?

Avec ou sans consentement, les différents types d'autopsies

• Nul ne peut s’opposer à une autopsie dite « judiciaire » ou « médico-légale », pratiquée par un médecin légiste à la demande d’un magistrat du parquet ou d’un juge d'instruction.
• Une autopsie médicale à visée de diagnostic ne peut être pratiquée qu'en l'absence d'opposition exprimée du vivant par la personne décédée. Opposition qui a pu être consignée au registre des entrées de l’hôpital ou dans le Registre national des refus. En l’absence d’enregistrement sur ces registres, le médecin doit demander à la famille si la personne décédée ne s‘était pas montrée hostile à cette idée.
• Dans les cas des autopsies pour la recherche, le consentement du défunt, dont les proches peuvent porter témoignage, est impératif.

Un luxe pour la médecine légale

Qu’est-ce qu’une mort suspecte ? Réponse de Dominique Lecomte, professeure de Médecine légale et anatomopathologiste. Dominique Lecomte dirige l’Institut médico-légal de Paris.
Sur les 3000 cas de mort suspecte ou violente étudiés chaque année à l’Institut médico-légal de Paris, 2000 font l’objet d’une autopsie. Pour Dominique Lecomte, qui dirige l’établissement depuis plus de vingt ans, parler de virtopsie est une « grave erreur, cela laisse penser que l’imagerie a réponse à tout. L’autopsie reste indispensable pour découvrir la cause d’un décès : elle permet d’effectuer des prélèvements de tissus, d’ôter une balle, d’observer et de dater un infarctus, d’évaluer la profondeur d’une ecchymose, et de prélever des échantillons destinés à des examens bactériologiques ou toxicologiques… » Elle permet aussi de reconstituer l’enchaînement des faits ayant précédé la mort et d’évaluer l’état de santé antérieur de la victime : le coup de couteau est-il seul responsable du décès ? En cas de blessures multiples, portées par différents agresseurs, laquelle a été fatale ? Des questions cruciales auxquelles le médecin légiste doit répondre devant un tribunal.

Les autopsies pratiquées à l’Institut médico-légal de Paris suivent un protocole fixé par la Communauté européenne. L’acte demande plusieurs heures de travail. Dominique Lecomte est professeure de Médecine légale et anatomopathologiste.  © P. Bertrand/CSI
Pour Marc Taccoen, également légiste à l’Institut médico-légal de Paris, les actes d’imagerie sont des examens complémentaires de luxe qui présentent surtout un intérêt judiciaire : « Dans le cadre d’un procès aux assises, les actes d’imagerie sont une preuve présentable, ce qui n’est pas le cas des clichés pris lors d’une autopsie. Ils permettent également une conservation de la preuve alors que le corps disparaît avec le temps.

Les dix médecins légistes de l’Institut médico-légal de Paris n’effectuent que des « missions de thanatologie », c’est-à-dire qu’ils n’interviennent que sur des morts. Mais le plus souvent, les médecins légistes officient dans le cadre d’unités médico-judiciaires et une large part de leur activité est consacrée au constat de violence sur des vivants pour relever des traces de maltraitance, d’agression ou de viol. Remis à l’honneur par de nombreuses séries télévisées, le métier de médecin légiste attire de plus en plus de vocations.© P. Bertrand/CSI
Aujourd’hui l’Institut médico-légal de Paris ne dispose que d’un appareil de radiographie traditionnel, dont l’usage est systématique pour les morts d’enfants, les personnes non identifiées, les corps particulièrement altérés et lorsqu’il y a eu usage d’une arme à feu. L'arrivée d’un scanner est en discussion mais sa venue soulève des problèmes de place et de budget : le ministère de la Justice, qui finance la médecine légale, a-t-il la volonté et les moyens de prendre à sa charge l’entretien et le coût d’un tel équipement quand le tarif d’une autopsie est de seulement 138 euros ?

Un acte redondant ou inutile à l’hôpital

Danielle Seilhean est anatomopathologiste, chef de service adjoint de neuropathologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. © P. Bertrand/CSI
À l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, un des rares hôpitaux où sont encore pratiquées des autopsies, Danielle Seilhean, anatomopathologiste, est très dubitative quant à l’utilité de l’imagerie : « Deux tiers des autopsies que nous effectuons sont réalisées à la demande d’un médecin pour comprendre la cause d’un décès, affiner ou établir un diagnostic. Des patients qui sont le plus souvent décédés en service de réanimation et dont le dossier médical comprend déjà de multiples actes d’imagerie. Nous intervenons donc après le scanner et l’IRM pour tenter de comprendre. »
Au-delà de ces autopsies à visée de diagnostic, un tiers des autopsies pratiquées à la Pitié-Salpêtrière sont destinées à la recherche sur les maladies neurodégénératives. Elles visent à recueillir des cerveaux sains et des cerveaux malades pour aller au-delà des informations données par l’imagerie : « Différencier une maladie d'Alzheimer d'une autre démence ne peut se faire qu'après le décès d'un patient : c'est l’examen de cerveaux post mortem qui confirmera le diagnostic et c'est un outil indispensable pour faire avancer la recherche » confirme Danielle Seilhean.

La « banque » des cerveaux de la Pitié-Salpêtrière Au sol-sol d’un bâtiment de la Pitié-Salpêtrière sont conservés les cerveaux utilisés pour la recherche. Avant de pouvoir être analysé, un cerveau doit faire l’objet d’une « fixation », une opération qui a pour but à la fois de le préserver et de le durcir. Les cerveaux sont ainsi immergés environ deux mois dans du formol. Ils peuvent ensuite être inclus dans de la paraffine, ce qui permettra d’en prélever de fines lamelles pour l’observation au microscope. Ils peuvent ainsi se conserver des décennies. © P. Bertrand/CSI
En France, faute de budget ou d’intérêt, la virtopsie ne semble donc pas en passe de s’imposer, ni de se substituer à une pratique déjà en désuétude : « l’autopsie médicale et scientifique est devenue une danseuse de luxe pour grand CHU », souligne Danielle Seilhean. « Pour l’hôpital, l’autopsie est un acte quasi gracieux qui n’est facturé à personne. Donc l’administration ne nous voit pas forcément d’un très bon œil. Contrairement à l’acte chirurgical, l’autopsie n’attire pas non plus une admiration béate. Aujourd’hui, il faut être ‘masochiste’ pour continuer à défendre cette pratique à moins d’y avoir un intérêt particulier : à La Salpêtrière, notre motivation en tant qu’anatomopathologistes est la recherche sur le cerveau. »
Un constat que dresse également Xavier Jouven, cardiologue et responsable du Centre d’expertise de la mort subite de l’adulte, créé en novembre 2010 par l’Inserm : « L’autopsie est en train d’être gommée à tort du paysage médical. Vouloir la remplacer par l’imagerie est une histoire de ‘médecine propre’ comme on parle de ‘guerre propre’, sans combattant ni lieu de bataille. En médecine, il faut regarder, c’est d’ailleurs l’étymologie même du mot ‘autopsie’ du grec ‘le voir de vos propres yeux’. En médecine, on ne fait pas que du ‘propre’, du moins pas encore. »

Autopsie, don d’organes et don du corps à la science

 
Cette stèle du cimetière de Thiais a été érigée à la mémoire des personnes ayant donné leur corps à la science. C’est aussi au cimetière de Thiais que sont inhumés les corps des anonymes et des indigents reçus à l’Institut médico-légal. (Les « fosses communes » n’existent plus dans les cimetières français, toutes les sépultures sont individuelles). Au bout de cinq ans, les corps sont exhumés puis incinérés au crématoire du Père-Lachaise. © DR
Il ne faut pas confondre autopsie et don d’organes ou don du corps à la science.Le don du corps à la science est un acte volontaire et généralement payant. Le montant dépend des facultés de médecine : 250 € à Paris, 800 € à Rennes… Ces sommes sont perçues pour couvrir les frais de transport, d’inhumation ou d’incinération. Le donateur s’engage à porter en permanence sa carte avec lui mais il lui suffit de la déchirer pour résilier son engagement. À Paris, sauf volonté contraire, les corps après travaux anatomiques (formation des étudiants en médecine, tests de matériels médicaux…) sont incinérés anonymement et les cendres sont dispersées au cimetière de Thiais, dans le Val-de-Marne. En France, 2000 personnes font don chaque année de leur corps à la science, par conviction ou pour éviter les frais d’obsèques.Seules sont éligibles au don d’organes à visée de greffe, les personnes en mort cérébrale (arrêt irréversible de l’activité du cerveau mais corps maintenu en activité). Selon le Code de la santé publique, « si le médecin n’a pas directement connaissance de la volonté du défunt, il doit s’efforcer de recueillir auprès de ses proches l’opposition au don d’organes éventuellement exprimée de son vivant par le défunt, par tout moyen ». En l’absence d’une opposition manifeste exprimée ou officialisée auprès du Registre des refus, le consentement est présumé. Dans la pratique, les médecins demandent le consentement de la famille. Les cartes de donneur n’ont aucune valeur légale mais permettent de faire connaître l’avis du sujet. Les prélèvements d'organes sont réalisés par des chirurgiens et non par des médecins légistes.
Pour aller plus loin :
Regarder la mort en face, Danielle Seilhean, éditions L'Harmattan, 2003
La maison du mort, Dominique Lecomte, éditions Fayard, 2010