L'amateur de roses se sent parfois un peu floué en achetant sa fleur préférée. On associe en effet souvent la rose à un parfum doux et enivrant, or un grand nombre de celles commercialisées aujourd’hui sont inodores. Leur redonner un parfum est un défi que tente de relever depuis plus de dix ans une équipe de chercheurs français. Leur ténacité a enfin été récompensée : ils ont réussi à mettre en évidence une nouvelle voie de synthèse faisant intervenir une enzyme déjà connue, mais qui n’avait jamais été associée à l’élaboration du parfum des roses. Les résultats de leur expérience ont été publiés dans la revue Science du 3 juillet 2015.
Pour arriver à ce résultat, les chercheurs de l’université Jean Monnet de Saint-Étienne associés à ceux d'autres organismes français (Inra, ENS Lyon, universités de Lyon et de Strasbourg, CNRS) se sont posé deux questions : comment le parfum est-il synthétisé chez le rosier et pourquoi certains rosiers ont-ils perdu leur parfum ?

À la recherche du parfum perdu

L’odeur typique de la rose européenne et moyen-orientale est due à des molécules de la famille des monoterpènes, en particulier le géraniol, dont sont encore pourvues de nombreuses variétés de roses de jardin et qu'elles ont héritées de leurs ancêtres, les roses sauvages.
L'hybridation des rosiers depuis le XIXe siècle a introduit plusieurs changements. Certes, elle a permis la création de milliers de variétés : à ce jour, plus de 20 000 cultivars ont été obtenus. Mais guidée par un impératif de commercialisation, cette sélection a privilégié les critères ornementaux comme l'architecture de la fleur, le nombre de pétales ou la longévité au détriment des caractères liés au parfum, relayés au second plan. 

En favorisant ces variétés, les sélectionneurs ont peu à peu et involontairement perdu la fragrance des roses. Car le parfum est un caractère génétique délicat, difficile à conserver au fur et à mesure des croisements. Cela étant, l’absence de parfum ne signifie pas la disparition des composés volatils, toujours présents dans la rose, quoique en plus faible quantité que dans les roses odorantes. Les approches génétiques, cellulaires ou biochimiques ont permis d’aller plus loin dans la compréhension de ce phénomène.

Des milliers de gènes à comparer

La première étape a consisté à identifier les gènes exprimés du rosier : « Il en existe environ 30 000. Avant 2002, nous en connaissions seulement 200. Actuellement, 21 000 gènes ont pu être identifiés, ce qui est déjà beaucoup », précise Mohammed Bendahmane, chercheur à l’unité de reproduction et développement des plantes (Inra/CNRS/ENS Lyon/UCB Lyon-1) et coauteur de l’étude. Les chercheurs ont donc développé des outils dits transcryptomiques, car permettant de comparer l’expression des gènes entre différents individus.
Dans cette nouvelle étude, ils ont comparé, parmi les milliers de gènes actifs, ceux exprimés chez une variété de roses au parfum très fort, le cultivar Papa Meilland, avec ceux du cultivar rogue Meilland, très peu parfumé. Ils ont ainsi mis en évidence leurs différences génétiques et notamment les gènes potentiellement impliqués dans le parfum ainsi que la protéine ou l’enzyme associées.

Une voie de synthèse inédite

Cette stratégie, combinée à d’autres approches génétiques et biochimiques, a permis de sélectionner de façon inattendue une enzyme appelée Nudix hydrolase (RhNUDX 1). Agissant comme un catalyseur, elle est indispensable à la production des odeurs. « C’est une voie de biosynthèse inédite », se réjouit Mohammed Bendahmane, car cette enzyme connue chez tous les êtres vivants n’avait jamais été associée au parfum. Dans le cas des roses, elle agit dans le cytoplasme des cellules des pétales, d’où elle génère l’odeur de géraniol.
Ces résultats constituent un pas de plus vers la compréhension de l’origine du parfum de la rose : les fleurs destinées aux bouquets sont inodores, car l’enzyme n’est pas exprimée. Reste à savoir si la fonction spécifique de RhNUDX1 est liée au processus d’hybridation des rosiers ou si elle est apparue au cours de l’évolution. De façon plus pragmatique, les scientifiques envisagent la possibilité d’utiliser le rhNUDX1 comme marqueur lors de la sélection des rosiers. De nouvelles variétés parfumées pourraient alors être créées en réactivant le gène. Les bouquets du fleuriste auraient alors un atout de plus : leur odeur ! ce qui serait non négligeable, même pour la fleur la plus vendue en France.

 Une fragrance complexe

Plus encore que celle des autres fleurs, la fragrance des roses est complexe. Elle est composée de centaines de molécules différentes libérées essentiellement par leurs pétales. Les terpènes volatils sont une des familles de molécules (sur les trois qui composent le parfum des roses) auxquelles s’intéressent particulièrement les chercheurs. En effet, elles font partie d’une classe de molécules très odorantes présentes dans de nombreuses fleurs et plantes aromatiques. Ces terpènes sont très abondants dans de nombreuses variétés de roses sous forme de géraniol, de citronellol, de nérol. C’est ce qui confère la note florale ou fruitée au parfum des roses. Les cellules de pétales de roses possèdent un métabolisme actif. Elles peuvent être considérées comme de véritables « petites usines à parfum » produisant des centaines de molécules odorantes.