Deux nouvelles modélisations

En 2007, le GIEC* publiera son quatrième rapport faisant état des derniers travaux sur le réchauffement global. Dans le cadre de ce travail, la France s’est jointe à la vingtaine de modélisations en cours afin de proposer ses deux nouveaux modèles climatiques mis au point respectivement par Météo-France et l’Institut Pierre-Simon Laplace IPSL. Hasard de la météo, c’est par une journée quasi caniculaire que, le 2 juin 2005, les deux organismes ont présenté leurs premiers résultats…

* Le GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat) regroupe 3.000 experts internationaux. À ce jour, trois rapports complets ont été publiés, le premier en 1990, le second en 1995 et le troisième en 2001. La sortie du quatrième rapport, en cours de rédaction, est prévue pour l'automne 2007.

Évidences et incertitudes

Les scientifiques français lors de la présentation des résultats De gauche à droite : - Éric Brun, directeur de recherche à Météo-France- Pascale Braconnot, responsable du pôle de modélisation du climat à l’IPSL- Jean Jouzel, directeur de l’IPSL et membre du GIEC © Nicole Tiget / CNRS

Jean Jouzel, directeur de l’IPSL et membre du GIEC, est catégorique : « Les incertitudes sur l’état du climat disparaissent au fil des années. Plus personne ne conteste aujourd’hui que la planète est actuellement en train de se réchauffer. De même que le lien entre les activités humaines et l’augmentation de l’effet de serre n’est plus à démontrer. »

Éric Brun, directeur de recherche à Météo-France, rappelle cependant quelques incertitudes quant à l’avenir. « La première concerne tout simplement la fiabilité des modèles actuels. Tous prévoient un réchauffement climatique marqué durant les cents prochaines années, mais il n’est pas toujours simple de comprendre pourquoi les résultats varient d’un modèle à l’autre. La seconde incertitude concerne l’évolution future du monde en terme démographique, économique, énergétique… autant d’éléments qui joueront un rôle important sur l’évolution du climat. »

Du scénario le plus optimiste au plus pessimiste...

Pour tenir compte de ces facteurs, ce ne sont pas moins de onze scénarios que les deux modèles français ont testés.

Les différents scénarios d'émission de CO2 envisagés La courbe noire représente la concentration de CO2 mesurée dans l'atmosphère entre la fin du 19ème siècle et la fin du 20ème siècle. Les courbes bleue, verte et rouge entre les années 2000 à 2100 correspondent aux estimations de la concentration en CO2 de l'atmosphère suivant différents scénarios d'évolution socioéconomique. Le scénario A2 est le plus pessimiste des scénarios proposés et simule la situation qu’il adviendrait si aucune mesure n’était prise pour restreindre les émissions de gaz à effet de serre. Le scénario B1 est au contraire plus optimiste. En 2100, la concentration en CO2 est respectivement de 550 ppm pour le scénario B1, 700 ppm pour le scénario A1B et 840 ppm pour le scénario A2. Des scénarios de stabilisation aux concentrations des gaz à effet de serre de la fin du 20ème siècle et en 2100 pour les scénarios B1 et A1B (respectivement 550 ppm et 700 ppm) ont également été proposés pour analyser le temps d'ajustement du système climatique. © IPLS / Météo-France

Le premier, dit de référence, simule un climat « non perturbé », celui du début du XIXe siècle, avant la révolution industrielle. Le second correspond à l’évolution du climat au cours du XXe siècle (de 1860 à 2000) : il doit permettre de mieux comprendre comment les différents facteurs (gaz à effet de serre, aérosols sulfatés, modification de la constante solaire et volcanisme) ont contribué à l'évolution du climat sur cette période.

Tous les autres scénarios correspondent à des projections pour le XXIe siècle ou au-delà. Certains privilégient une croissance démographique et économique rapide (scénarios de type A), d’autres considèrent que des mesures environnementales vont être prises (scénarios de type B), avec transferts de technologie* (type 1) ou sans (type 2). On comparera ainsi le scénario le plus pessimiste, A2 (« on ne fait rien »), au plus optimiste, B1 (« on met en œuvre des mesures draconiennes contre les émissions de gaz à effet de serre »). Plus original, les chercheurs ont également cherché à savoir comment évoluerait le climat si les émissions de CO2 pouvaient être stabilisées.

* Passage des énergies fossiles à des sources d'énergie non émettrices de gaz à effet de serre

Dans tous les scénarios : la Terre se réchauffe

22 600 heures de calculs pour Météo-France, 20 000 heures pour l’IPSL… comme pour toutes les modélisations climatiques, les résultats français ont nécessité des temps de calculs considérables.

Et comme tous les autres, ils ne sont guère optimistes : quel que soit le scénario envisagé, le climat se réchauffera durant les cent prochaines années. Dans la droite ligne du précédent rapport du GIEC, les hausses de températures calculées pour 2100 sont de 2,5 à 3,5°C dans le cas d’un scénario A1B, et de 1,5 à 2,3°C dans le cas d’un scénario B1.

Mais surtout, les scénarios de « stabilisation » mettent en évidence la lourde inertie du climat : « Aussi bien le modèle de l'IPSL que celui du CNRM (de Météo-France) montrent que, même si la concentration du CO2 était stabilisée d'ici 2100, la température continuerait d'augmenter, explique Pascale Braconnot, de l'IPSL. D'ici 2300, elle croîtra encore de 0,5°C avec le scénario B1 et de 0,7°C avec le scénario A1B ».

Des données qu'il faut maintenant comprendre

Pascale Braconnot, responsable du pôle de modélisation du climat à l’IPSL © Science Actualtiés (CSI) 2005

Reste que ces résultats bruts doivent maintenant être décortiqués. « Ces deux simulations nous ont fourni près de 38 téraoctets de données, note Pascale Braconnot. Nous disposons maintenant d’une planète virtuelle à partir de laquelle nous allons pouvoir extraire des données afin de comprendre comment et pourquoi la température change, quels sont les mécanismes qui sont mis en jeu dans ces changements. Cette étude va également nous permettre de savoir si ces résultats sont fiables et si des problèmes de représentations physiques existent dans nos modèles. »

Pour analyser ces simulations, les chercheurs de Météo-France, de l’IPSL et de plusieurs autres laboratoires du CNRS se sont ralliés sous la bannière du projet Escrime. Dans les mois à venir, les nombreux projets d’analyses devraient donner un meilleur aperçu de la qualité de ces nouvelles simulations.

* 1 To = 1012 octets soit 1 000 000 000 000 octets