Spectacles d’illusion, séries TV, sevrage tabagique, accouchement sous hypnose… la fascination pour cette pratique plus que centenaire opère toujours. La santé et la médecine n’échappent pas à ce regain de popularité.  On l’utilise comme pratique complémentaire à la médecine conventionnelle pour certaines indications (gynécologie et obstétrique, troubles digestifs, chirurgie, psychiatrie, etc.). Face à un développement hétérogène, la Direction générale de la santé a souhaité évaluer l’efficacité de cette pratique peu réglementée. Elle a confié cette étude à une équipe de chercheurs de l’unité Inserm 1018 (Épidémiologie et santé des populations – CESP), sous la direction de Bruno Falissard, psychiatre et directeur de l’unité. L’équipe a rendu son rapport le 8 septembre dernier.

Une pratique hétérogène

L'hypnose possède de multiples applications cliniques, sensiblement différentes. « Il n’y a pas une hypnose, mais des hypnoses », explique Bruno Falissard. L’hypnosédation (à visée sédative) est utilisée en anesthésie, l’hypnoanalgésie permet de lutter contre la douleur alors que l’hypnothérapie est pratiquée en psychothérapie. Elle touche donc des pathologies aussi variées que les troubles psychiatriques, les addictions, le stress post-traumatique, les troubles digestifs fonctionnels et est utilisée lors des accouchements ou en anesthésie pour les interventions chirurgicales.
Les formations sont elles aussi très diverses. Il existe une douzaine de formations universitaires et divers enseignements dispensés par des réseaux associatifs ou privés, certains réservés aux professionnels de la santé. Aucun n’est reconnu par l’Ordre des médecins. Le statut d’hypnothérapeute n’est d’ailleurs pas réglementé et il concerne des praticiens possédant des qualifications très différentes. Mais cette situation ne freine en rien l’engouement pour la pratique. « Il y a cinq à dix fois plus de demandes de formation (DU ou formation courte) qu’auparavant de la part des  professionnels de santé », souligne Juliette Gueguen, coauteure de l’étude. Et bien que non répertoriée officiellement, la pratique de l’hypnose essaime dans de nombreux services hospitaliers  comme le constatent les chercheurs.

Utilisée pour soigner les patients depuis au moins 200 ans, la pratique de l’hypnose en médecine n’est pas nouvelle. Mais elle reste paradoxalement mal connue. Bien qu’étudiés au niveau du cerveau, certains aspects des mécanismes physiologiques sont loin d’avoir livré tous leurs secrets. En pratique, elle consiste, par la parole, à induire un état de conscience modifiée chez le patient qui n’est ni un état de vigilance ni le sommeil. Il se caractérise plutôt par une indifférence à l’extérieur et une hypersuggestibilité. Le praticien  utilise l'hypnose dans le but « d’amplifier les ressources internes des patients pour lutter contre l’anxiété et la douleur et faire disparaître des symptômes».

Utile contre la colopathie fonctionnelle

Difficile de juger l’efficacité de hypnose dans le domaine médical. Et, c’est dans ce contexte disparate tant en France qu’à l’étranger que les chercheurs ont dû mener leur enquête. Pour cela, ils ont balayé les résultats de 52 essais cliniques ainsi que 17 essais pour l’usage de l’EMDR (Eye  Movement Desensitization and reprocessing). Technique de désensibilisation et retraitement par mouvement oculaire, utilisée pour traiter le syndrome de stress post-traumatique depuis la fin des années 1980, l'EMDR fait intervenir certaines pratiques issues de l’hypnose.
Parmi ces essais, une vingtaine d’études cliniques (incluant plus de 100 sujets) réalisées par la Fondation Cochrane ont eu pour objectif d’évaluer l’efficacité de l’hypnose en hypnosédation, hypnoanalgésie (accouchement, intervention chirurgicale, etc.), des pathologies fonctionnelles (colopathie, bouffées de chaleur, etc.) et psychologiques (addictions, stress post-traumatique). Si les résultats de ces études sont variables, l’hypnose présente un intérêt thérapeutique probable dans la colopathie fonctionnelle (syndrome du côlon irritable). Les symptômes digestifs, en effet, sont atténués par des séances régulières d’hypnothérapie.
Les résultats des études s’accordent aussi sur l’utilité de l’hypnose pour réduire  les doses d’antalgiques et de sédatifs pour contrôler la douleur pendant une opération. Grâce à l’hypnose, l’usage des médicaments est moindre pendant une opération sous anesthésie locale ou générale.

En revanche, les données actuelles sont « insuffisantes, voire décevantes » dans des indications comme le sevrage tabagique ou la prise en charge de la douleur lors de l’accouchement, mais aussi la prévention de la dépression post-partum, la schizophrénie et les soins dentaires chez l’adulte et l’enfant. Au regard de ces études, il semble que l’hypnose offre peu d’intérêt dans la prise en charge de la douleur. L’hypnose n’est d’ailleurs pas plus efficace dans le traitement du syndrome de stress post-traumatique que les traitements classiques. Par contre, l’EMDR, soin plus standardisé que l’hypnose, fait ses preuves en tant que thérapie brève pour les adultes.
Le volet concernant la sécurité de l’hypnose a aussi été passé au crible. L’équipe dirigée par Bruno Falissard conclut de manière rassurante qu’« aucun effet indésirable grave ne paraît attribuable à l’hypnose ». Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’on ne peut exclure de tels événements selon eux.

Des standards méthodologiques à repenser

Pour Bruno Falissard, cette étude confronte les chercheurs à d’autres questionnements. Certes, elle dresse un certain panorama de l’utilisation de l’hypnose d’un point de vue médical, mais pour lui, « ce n’est pas une révolution thérapeutique, il y a peu de choses ». Au regard du nombre d’indications et des pratiques, il souligne que le nombre des études sur l’hypnose est réduit. Il faudrait en réaliser plus pour obtenir une meilleure évaluation donc y accorder plus de moyens. « C’est un problème majeur de santé publique, explique-t-il, car lorsqu’il n’y a pas d’étude sur une question, on dit que ça ne fonctionne pas. »
Mais surtout, Bruno Falissard et son équipe soulèvent le problème des limites méthodologiques. Selon eux, les méthodes d’analyse pour ce type de pratique sont inadaptées. Pour mieux évaluer l’effet clinique de l’hypnose, il faut donc repenser les standards méthodologiques classiques. Car, pour estimer l’efficacité de l’hypnose, on se base sur des essais randomisés comme on le fait pour les médicaments. Certes, ce type d’études comparatives randomisées est utile. « Mais on n’évalue pas les soins. Donc les résultats sont limités, car l’effet thérapeutique est noyé », estime Bruno Falissard.

Les critères d’efficacité sont les mêmes que ceux utilisés pour les médicaments avec, par exemple, des échelles de douleur et d’anxiété. Il faudrait pouvoir prendre en compte le ressenti des gens, l’évaluer comme celui des femmes qui ont accouché sous hypnose et qui en ont un meilleur souvenir que celles qui ont accouché sans. Ou bien, autre exemple, lorsqu’il y a un effet sur  le personnel médical. Il a été constaté que celui-ci se sent mieux pendant l’opération lorsque l’hypnose est utilisée en complément d’une anesthésie sur un patient. Avec ce type d’étude, « on passe à côté du vécu émotionnel et qui n’est pas capturé par les essais de type médicamenteux », ajoute-t-il.
« Les études qualitatives bien menées » prenant en compte aussi ces critères sont donc « tout aussi indispensables pour déterminer ce qu’ont vécu subjectivement les patients lors de prises en charge sous hypnose », affirme le rapport. « Une étude négative laissera toujours planer le doute sur le véritable intérêt de l’hypnose ». Raison pour laquelle « on doit se féliciter de constater que de plus en plus d’études sont engagées dans ce domaine, y compris en France », affirment les chercheurs de l'Inserm dans leur rapport.
L’enjeu de l’hypnose se situe aussi sur un plan ethico-juridique. Face à l’hétérogénéité des pratiques et des enseignements, et au flou de la législation, « une réglementation des pratiques serait souhaitable », estiment les chercheurs. Le rapport préconise donc la mise en place d’un système de surveillance, qui permettrait de recueillir des données de terrain, d’éviter à certains patients plus suggestibles des dérives éthiques (manipulation, faux souvenirs, etc.), et d’accéder trop tardivement aux soins conventionnels en cas de besoin. C'est la conséquence souvent observée d’un recours alternatif à des thérapeutiques non conventionnelles par des patients… à laquelle l’hypnose n’échappe pas !